Climat & Biodiversité: que se passe-t-il si je change?

 

Vous venez de lire l’histoire de Jeanne (si ce n’est pas déjà fait je vous y invite bien sûr) et vous êtes maintenant motivé et en quête de solutions!


Premièrement, ce dont il faut être conscient, c’est que nous pouvons faire énormément de choses pour améliorer significativement la situation actuelle ainsi que celle décrite: toute action a un impact comme vous le verrez ici. Autant nous devons désormais faire face à une adaptation certaine, autant une atténuation gigantesque est possible, désirable et permettra de générer des changements rapides et visibles par et pour tous, menant certainement à son lot de bonnes nouvelles inattendues. Le meilleure moment pour agir c’était il y a 50 ans, le 2e meilleur c’est maintenant.

 

De nombreuses solutions sont à notre disposition et ces articles vous aideront à les entrevoir et ainsi à agir de façon efficace. 


Bien évidemment, pour comprendre les mécanismes cognitifs, les freins et les leviers liés à ces menaces uniques auxquelles l’humanité n’a jamais été confrontée, pour comprendre notre inaction et surtout les solutions liées, tout cela ne peut pas (encore) se faire avec 4 « reels » instagram de 30 secondes malheureusement (mais en terme d’ « actions faciles » pour notre planète vous pouvez cependant déjà télécharger Chilli , une application dédiée à combattre les « bombes climatiques », avec une action simple par jour!). 

 

L’objectif de cette série: donner les outils nécessaires à chacun pour contribuer sans trop d’efforts aux points de bascule sociaux au sein de la société sans pour autant devenir un activiste climat de la trempe de Camille Etienne, et ainsi passer de l’anxiété à l’espoir par de l’action efficace! 


Que pouvons-nous changer? Pourquoi changer?

Mais pourquoi devrions-nous changer? Est-ce utile? Pourquoi devrais-je arrêter de prendre l’avion alors que d’autres ne font rien? Pourquoi devrais-je arrêter de manger de la viande et manger bio alors que d’autres ne font aucun effort?

Ma consommation n’est-elle pas infinitésiment minime comparé à l’impact global? Que je change ou pas ça ne change rien…?

On pourrait penser que tout changement ne viendrait que de là où les décisions importantes sont prises, c’est-à-dire là où se trouvent l’argent et le pouvoir, et qu’il serait donc utile de gravir les échelons du monde entrepreneurial ou politique pour enfin prendre des décisions qui auraient une influence positive pour le plus grand nombre.

Ce discours n’est peut-être pas tout à fait faux, mais également loin d’être vrai, et il est possible selon moi d’être beaucoup plus efficace, en commençant par changer soi-même, et ce, sans pour autant poursuivre la pureté écologique. Pour comprendre cela, changeons de perspective, et passons du “gros plan” au “grand angle”, avec les 3 arguments suivants:

 

1. Considérer son impact en valeur absolue

2. Notre impact individuel et collectif sur les entreprises et le politique

3. La portée de notre influence et des normes sociales – comment nous faisons changer les autres

 

1. Une claque dans la figure nous choque (à juste titre), mais pas l’émission d’un kilo de CO2? Quelle est la différence?

Dans un cas (la claque) nous voyons les choses en valeur absolue car nous sommes capables de clairement nous représenter la douleur ressentie. Pour des émissions de CO2 (ou de la consommation de produits traités avec des pesticides), il n’y a pas de vécu direct de l’impact en valeur absolue, nous ne le ressentons pas, car il est d’une part invisible, et d’autre part partagé par l’entièreté du vivant — comme une micro-aiguille invisible qu’on planterait à chaque constituant de la nature actuelle et future. Cependant, chaque tonne de CO2 fait par exemple fondre 3m2 de glace arctique (et une tonne correspond par exemple à un vol aller-retour paris-marrakech, selon les estimations les plus récentes). Et moins de glace, ça donne des étés plus chauds et plus secs.


Si nous étions capables de correctement percevoir notre pollution individuelle en valeur absolue – comme une “claque” dans la figure des gens – , peut-être changerions-nous. C’est pour cette raison que notre impact doit être considéré en valeur absolue et non en termes relatifs.

Pour justement mieux percevoir cet impact, on peut commencer par essayer d’établir des équivalences d’intensité. Par exemple, demandez-vous maintenant : “Combien de kg de CO2 sont équivalents à une claque dans la figure?”. 3kg? 5 kg? (Cela correspondrait respectivement à des trajets en voiture de 15 et 25 km.) A titre de comparaison, l’empreinte carbone moyenne d’un français est aujourd’hui à hauteur de 10 tonnes par an.


Dans le cas de ces émissions de CO2, vu que nous ne ressentons pas l’impact de notre propre pollution, il n’y a donc pas de question morale de savoir s’il faut arrêter ou non, et cela nous pousse à comparer nos efforts de diminution de pollution par rapport aux autres, et ainsi à potentiellement ne pas agir pour des raisons d’équité — tout à fait justifiées pour une grande partie de la population dépendante des énergies fossiles pour vivre et qui n’a pas les ressources nécessaires pour changer facilement.


Exemple: Prenons une situation dans un cadre de loisir: si je prends l’avion ou que je mange de la viande, qu’on me demande d’arrêter et que je dis “Oui mais moi diminuer comparé à la pollution mondiale ça ne changera rien” ou que je dis “que les gros pollueurs commencent par faire des efforts”, cela peut paraître légitime. Par contre si je tape quelqu’un dans la figure, qu’on me demande d’arrêter et que je dis « commence par dire à Poutine d’arrêter ses guerres », on me prendra pour un fou.


On nous apprend au même titre qu’il est important de sourire, d’être poli et de dire merci, mais on ne nous apprend pas qu’il ne faut pas polluer, que prendre l’avion ou rouler en voiture est nocif pour tout le monde. Cela n’est pas inscrit dans la norme sociale en vigueur. Cela montre à quel point nous n’avons — pour la majorité d’entre nous — pas (encore) conscience de l’impact réel en valeur absolue de nos actions quotidiennes. De façon involontaire et systémique, l’évolution de notre société et de ses normes nous a appris qu’on pouvait — voire qu’on devait, par souci de conformité par rapport à la norme — allègrement blesser les gens et le vivant (en prenant l’avion pour partir en vacances par exemple) mais, qu’il ne fallait surtout pas oublier de sourire et d’être poli avec ces populations auxquelles on rend visite. 


(N.B.: si vous êtes actuellement en voyage ou avez récemment voyagé le but n’est pas de culpabiliser ou réprimander, surtout pas, mais bien de récompenser le changement et les actions vertueuses de demain, pour lesquelles tout le monde vous est/sera reconnaissant)


Dans le cas d’émissions de gaz à effet de serre, on a donc tendance à voir les choses en termes relatifs entre autres du à l’absence d’impact visible (on ne voit pas des gens mourir devant soi quand on vole en avion) et à cause des normes. Comprendre notre impact en valeur absolue nous aide déjà à changer en sachant qu’on « blesse » en polluant et consommant. Cela s’applique aux transports (avion, voiture,…), à l’énergie (mines d’extraction metaux rares, deep sea mining, travail infantile — Cobalt,…), à l’alimentation (viande, pêche, pesticides, insecticides tels que les néonicotinoïdes…), à l’hygiène (produits chimiques/plastiques — PFAS),…


Au même titre qu’un sourire peut nous faire plaisir, on peut ainsi faire plaisir aux gens — qu’ils en soient conscients ou non — en fournissant des efforts pour ne pas (ou moins) polluer. Cet exemple par rapport à l’avion n’est donc pas écrit pour faire culpabiliser, mais justement pour aider ceux qui n’en auraient pas conscience (la majeure partie d’entre nous) à comprendre comment mieux agir demain, avec de nouvelles informations à leur disposition.


Si avoir cette «information» nous incite à changer, on peut cependant s’imaginer que ça n’est soit pas suffisant pour agir, soit pas assez pour avoir de l’impact. Cela nous mène au point suivant, de l’offre et de la demande:

Même si moi j’ai envie de changer parce que je ne veux plus polluer, TOTAL continue à vendre et à faire proliférer ces projets climaticides comme EACOP? Il faudrait être le patron de TOTAL ou être au gouvernement pour les en empêcher?!

 

Même si j’arrête de manger des produits de l’agriculture conventionnelle, ils continueront à utiliser des pesticides et à alimenter la sixième extinction de masse!

Et on peut légitimement se demander: qui contrôle qui? Le producteur vs le consommateur? Le politicien vs l’électeur?


2. Faut-il détenir les “rennes” pour arrêter les projets climaticides?

En tant que consommateur ainsi qu’en tant qu’électeur, ce sont nos envies qui dictent la production et la politique. Cela signifie que la demande dicte partiellement l’offre.

Notre aversion à la perte et notre optimisme sans fin peuvent nous apprendre deux choses sur l’évolution de la demande et de l’offre:

    • Une nouvelle demande va très facilement générer une nouvelle offre.

    • L’arrêt d’une demande existante va voir l’offre existante rechigner à s’arrêter et tout faire pour continuer, malgré des probabilités nulles, par effet de possibilité. Ceci s’apparente à une situation de perte probable dans la théorie des perspectives de Kahneman et Tversky. Cet article en décrit les implications pour notre société face au changement climatique.

Ce contraste s’illustre très facilement avec le phénomène d’acquisitions d’entreprises: autant vous verrez beaucoup d’acquisitions, autant vous ne verrez que très peu de scissions. Il est aussi plus facile de lancer un projet que de décider de l’arrêter lorsqu’il va mal (pensez peut-être à votre dernière relation amoureuse qui ne s’est pas trop bien finie…).


Cela veut donc dire qu’une production néfaste ne s’arrête pas spécialement une fois que la demande passe sous un niveau insoutenable pour le producteur (sauf si le producteur est parfaitement rationnel), mais que couper la demande est une des conditions pour contribuer à son arrêt. Cela génère une nouvelle production plus soutenable, diminue les moyens disponibles pour réinvestissement pour le producteur néfaste et le confronte à une réalité de perte probable.

 

C’est dans ce contexte de perte que les vrais problèmes commencent, comme on pourra le voir plus tard dans cet article. Cependant, combiné à des mécanismes complémentaires tels qu’une meilleure communication entre les bulles sociales (entre la demande et la production le cas échéant), on peut tout de même avoir de l’impact et accélérer la transition!


Cependant, si la demande augmente, les investissements et l’offre suivront naturellement. Très concrètement, que ça soit dans un contexte de loisir ou de flemme, tant que nous remplirons nos voitures à la pompe ou prendrons l’avion, nous donnons ainsi toutes les raisons à Pouyannet de continuer à extraire toujours plus de ressources mortifères, que ce soit en Ouganda ou en Afrique du Sud, en lui montrant que la demande ne fait qu’augmenter.

Mais avons-nous tellement d’influence sur la production pour commencer?

 

L‘objectif des entreprises étant de vendre, elles doivent pouvoir répondre aux questions telles que « quelles sont les tendances? Quels sont les envies et les besoins? Qu’est-ce que les gens veulent aujourd’hui ou de quoi pourraient-ils avoir envie demain? Comment gagner de l’argent? ». Dans un système capitaliste, on peut argumenter que l’analyse de la demande potentielle (encore non-existante) va donc générer une offre. 


Par exemple, si les gens achètent du saumon, cela génèrera un revenu pour le producteur, qui le réinvestira, pour donner envie à plus de gens de manger du saumon, pour encore plus pêcher à moindre prix, ce qui réduira le prix de production (et de consommation), et on pêchera ainsi du saumon jusqu’à ce qu’il n’y en ait plus (ce qui est littéralement en train de se passer, les océans se vidant à une vitesse effrayante, avec des machines comme la senne démersale). De façon similaire, si les gens achètent des produits issus de l’agriculture conventionnelle, on en produira jusqu’à ce que les rendements s’effondrent (entre autres à cause des pesticides, insecticides, labour, monocultures etc). Ensuite, les gens se rueront sur les petits producteurs locaux en agroécologie, permaculture et agriculture régénératrice, mais il n’y en aura pas assez pour tout le monde, et on ne réalisera que trop tard qu’on avait besoin des insectes et bactéries que nous avons tués avec nos pesticides.


En achetant simplement un produit non-soutenable en supermarché, nous payons littéralement les destructeurs du vivant, et nous leur offrons des profits qu’ils réinvestissent pour augmenter leur destruction (ce qui donne naissance à des outils de destruction massive comme la senne démersale mentionnée plus haut). Nous sommes ainsi à notre insu, en tant que simple consommateur, les premiers investisseurs de ces entreprises et de la destruction du vivant


Les agriculteurs mentionnés précédemment sont pour la majeure partie tout autant des victimes que nous: on leur a simplement vendu la possibilité de ne pas mourir de fatigue ou de dettes en mettant quelques produits dans leurs champs, tout ça parce que nous ne voulons/pouvons pas payer le vrai prix de cette production, que nous ne voulions pas y travailler, et que nous rémunérons à la place toutes les chaines intermédiaires de la production alimentaire — marketing, emballage, chaînes de supermarchés… Heureusement, cela est d’ores et déjà en train de changer, avec de plus en plus d’initiatives et de désir de la société de retrouver des métiers qui ont du sens.


Mais à quel point notre petite consommation et nos petits euros ont-ils un impact?

 

Avec les revenus que nous payons à ces entreprises, nous nourrissons des boucles de rétroaction positives, qui agissent de façon exponentielle:

    • Ressources => production => vente => profit entreprise + rendement (investisseurs*) => investissement => plus de ressources et de destruction => plus de production => plus de profit et plus de rendement => plus d’investissement=> plus de destruction

*investisseurs: autres que les consommateurs, ceux qui ont des parts dans l’entreprise en question

 

En suivant ce cheminement de boucle de rétroaction du capital industriel à l’échelle globale, modélisé dans “Les limites à la croissance” (Meadows), cela signifie que chaque entreprise, avec ses profits, contribue à des rendements pour ses propriétaires et ses investisseurs (autres que les consommateurs), jusqu’à un stade de pic et de non-retour, qui à l’extrême donne:

    • investissement => encore plus de destruction=> pas assez de nature, trop d’humains => moins de production + évènements climatiques extrêmes + perte de biodiversité => famines, maladies, immigration => inflation croissante infinie => plus assez pour investir pour enrayer la machine de destruction => guerre, famine => mort et fin de l’histoire.

C’est ainsi que chaque revenu octroyé à des entreprises, contribue de façon exponentielle à ce cercle vicieux, où chaque euro lancé dans la machine génère chaque année plus de destruction. Commencer par ne pas investir dans plus de destruction est le premier pas efficace à faire, car cela permet de “couper l’herbe sous le pied” à ces investissements ainsi que d’envoyer des signaux clairs sur nos désirs.


On peut cependant légitimement penser: « oui mais les investissements de ces grosses boites sont surtout faits via des banques« ! Et effectivement les emprunts aux banques permettent ce genre d’investissements. C’est pourquoi à nouveau, nos petits euros — s’ils sont sur un compte dans une banque qui finance des activités néfastes — , sont en réalité utilisés pour polluer et détruire le vivant (d’ou l’intérêt également de changer de banque).


Le consommateur guide l’offre, ce qui signifie que nous avons une influence collective considérable: en investissant dans le monde qu’on veut voir, on peut également le matérialiser (remerciez Gandhi pour cette inspiration). Si la demande évolue maintenant assez vite vers ces tendances plus soutenables, nous nous donnons les meilleures chances pour que la production suive (et on l’espère +- à temps).


Au niveau politique c’est pareil: l’objectif des politiciens étant de se faire (ré)élire, ils se demandent « Qu’est-ce que les électeurs veulent? Que dois-je faire pour me faire élire? ». Les gens ne voulaient par exemple plus de nucléaire (causé par un malheureux effet de certitude dans une cascade de disponibilité). On a donc désinvesti dans le secteur. Au même titre, si un politicien estime qu’un changement sera trop drastique pour la population — bien que potentiellement bénéfique — il ne se fera pas, car les citoyens n’en voudront pas. Au plus la majeure partie de la population sera au courant des enjeux actuels, au plus les envies des citoyens seront alignées avec leurs besoins, et au plus les programmes politiques seront adaptés à ce dont nous avons réellement besoin. En effet, les politiciens proposent généralement ce que nous voulons, pas ce dont nous avons besoin.


Les changements de tendances (pour les entreprises) et de lois (pour le politique) ne sont ainsi généralement que des conséquences des changements des désirs des citoyens/consommateurs, autrement dit des conséquences des changements de normes, souvent générés par des cascades de disponibilité (que nous verrons dans l’article suivant).


Pour guider l’offre et les décisions politiques de façon plus soutenable pour la planète il faut donc inévitablement faire changer la demande, donc changer la société, l’informer, et changer les normes, au lieu de simplement se préoccuper de changer les choses par le haut au risque d’être en décalage complet avec une société clivée. Les transitions opérées par les entreprises et gouvernements ne seront ainsi qu’une conséquence visible des changements déjà opérés au sein de la société.


Admettons que, comme postulé ci-dessus, la demande influence effectivement l’offre, et qu’il est également nécessaire de se conscientiser à notre pollution en valeur absolue. Mais comment passer d’un changement individuel à un changement global?

Même si je change ce sera tellement peu que ça n‘influencera jamais la demande…

 

Maintenant que j’ai changé, comment est-ce que je fais pour faire changer les autres, pour influencer les normes et la demande?

3. Que faire pour faire changer les autres? 

 

Est-ce qu’interdire à ses proches de prendre l’avion sera utile?

 

Est-ce que ça peut aider de rappeler à ses proches quand ils mangent un bout de viande que “Tu sais que tu contribues à la déforestation importée et que 200g de boeuf c’est au moins 6kg de CO2”?

 

Dois-je être aussi stylé que Camille Etienne et Heidi Sevestre pour faire changer les choses?

Autrement dit, a-t-on de l’influence, et comment en avoir dans un contexte d’écologie? Même si on adopte un comportement néfaste qui en valeur absolue ne pollue pas beaucoup, il ne faut surtout pas négliger l’influence que nous avons sur les autres.


Nous sommes des machines sociales — nous avons de tout temps évolué en groupe, et avons toujours eu besoin des autres, ce qui a naturellement appelé au développement d’un appareil social particulièrement efficace. 


Nous devons en effet être capables de prouver notre valeur aux autres afin d’obtenir de quoi vivre, ce pourquoi nous sommes constamment en recherche d’élévation et de gestion de notre statut social. Si ce n’était pas important, nous pourrions tous nous balader tout nus dans la rue ou pour aller au travail sans le moindre complexe. Or, par souci de gestion de cette réputation, nous essayons de nous conformer à ce que les gens autour de nous adoptent comme comportements. C’est pour cela qu’on valorise entre autres — selon nos groupes sociaux — plus un style vestimentaire en particulier, un type de métier, un parcours universitaire,…


Exemple: si nous voyons une paire de chaussures qui nous semble cool sur quelqu’un que l’on apprécie, et bien cela nous donnera envie de les obtenir également. Inconsciemment, porter cette paire pourra potentiellement conduire à élever notre statut ou en tout cas à faire en sorte que l’on soit conforme aux normes en vigueur. Notre perception liée à notre appareil social nous dicte qu’il y a des « bénéfices réputationnels » à pourvoir.


Par contre, si notre “modèle” en question venait chez nous en nous disant “Tu dois avoir les mêmes chaussures que moi! Achète-les!!”, cela fonctionnerait-il pour que nous les achetions? Peu probable… Les conditions pour que le comportement soit répété et adopté par d’autres sont entre autres sa visibilité, et la valeur de la personne qui l’adopte. Si la personne paraît trop clivante, cela génèrera de la réactance, elle ne s’y identifiera plus, ce qui conduira à une diminution de l’influence.


De façon complémentaire, c’est ainsi que tout discours ou information peut prendre ou perdre de la valeur. La valeur d’une information est déterminée par sa source — au plus la source est importante et crédible pour nous, au plus l’information partagée (ou le comportement montré) nous paraîtra aussi crédible et ainsi capable d’altérer nos propres comportements.


Dans un contexte climatique, c’est exactement pareil. La tendance, qui doit être à la protection du vivant, la non-pollution et l‘arrêt de la surconsommation, nécessite des modèles qui adoptent ces règles-là, c’est-à-dire adopter des comportements vertueux de façon visible sans pour autant les imposer aux autres dans la mesure du possible.


Selon ces explications, on peut argumenter que c’est d’ores et déjà le cas pour beaucoup de gens. Si vous êtes végétarien/végétalien/vegan mais que vous ne l’imposez pas aux autres, et bien vous contribuez à l’émergence d’une norme sans le savoir en normalisant un comportement. Si vous partagez des voyages à vélo sur vos réseaux sans crier sur les gens qu’il ne faut pas prendre l’avion et bien vous influencez potentiellement sans le savoir des gens à faire de même, alors que si vous aviez partagé des “stories” d’un voyage lointain en avion, et bien vous auriez contribué à la normalisation du fait de prendre l’avion. Ainsi, peut-être que demain, voyager en avion et le montrer contribuera à une diminution de son statut social, ce qui fera changer le comportement d’autres par souci de conformité. 


C’est comme ça que les normes évoluent dans notre société. Bien que nous n’ayons pas spécialement de « retours » sur les personnes que nous avons pu influencer, nos actions permettent parfois simplement d’inconsciemment créer des « tendances » visibles pour les autres, qui elles mèneront à l’adoption croissante des comportements.


De façon complémentaire, là où on pouvait penser que «mes petits euros ne peuvent pas changer grand chose», par notre influence directe (sur nos proches), ceux-ci mêmes influenceront potentiellement indirectement des fortunes extrêmement conséquentes, sans qu’on en ait conscience. Notre impact réel en devient donc bien plus important, et tout ça à partir de quelques euros ou de simples gestes visibles. Ne pas avoir conscience de notre influence ne signifie donc pas que nous n’en avons pas!


Les limites à l’influence pour l’adoption de comportements écologiques

Une problématique des comportements vertueux pour l’écologie est cependant que la plupart de ceux-ci sont des comportements de sobriété et donc d’abstention, qui ne se voient pas. On ne voit pas que je ne prends pas l’avion. Par contre si je venais à le prendre une fois et poster une photo, on le verrait très bien, et on en viendrait vite à supposer que c’est mon comportement normal, par manque d’autres occurrences contredisant cela. 


C’est ainsi que par effet de simple exposition et heuristique de disponibilité (cf. article suivant), nous normalisons et surestimons l’occurence de certains comportements, ce qui nous amène à identifier une potentielle norme à laquelle il faudrait adhérer, alors que ça n’en est potentiellement pas une. Comme le disent les auteurs de cet article précédemment référencé, il faut donc s’attaquer à cette problématique de visibilité des comportements écologiques vertueux.


Un autre élément à considérer est qu’autant l’information (sur notre consommation et son impact) est nécessaire pour inciter à adopter de nouveaux comportementsce sont entre autres les normes qui dictent nos comportements effectifs. Lorsque ça concerne des comportements pour lesquels on peut changer sans trop d’efforts et que l’équité ne rentre pas en jeu, savoir donne donc envie d’agir mais sans nécessairement faire agir, entre autres par souci de conformité (on ne veut pas agir et risquer d’être en décalage avec la norme). 


Faut-il donc agir de façon opposée à la norme actuelle pour conserver son statut social et sa crédibilité? Cette contradiction signifie une dissonnance cognitive certaine. C’est pour cela que nous avons besoin de voir un certain niveau de changement des gens autour de nous, pour oser nous affirmer. Par conséquent, au plus nous changerons de façon visible, sans forcer qui que ce soit, au plus la réponse sera positive et l’adoption de nouvelles normes se fera progressivement. 


Cependant, le temps presse, et le biais du présent nous contraint à avoir envie de changer plus vite, mais cela nous amène à négliger la caractéristique potentiellement exponentielle de la vitesse de propagation de normes (de façon similaire à un virus qui aurait un « R » ou taux de propagation au-dessus de 1). 


La pire erreur dans ce cas-ci, est qu’en voulant aller trop vite, on n’ait pas d’effet du tout, voire l’effet inverse — ce qui est le cas pour beaucoup de personnes conscientisées aux menaces actuelles. La meilleure stratégie, c’est d’éviter les pires erreurs: vouloir aller trop vite, ça revient à prendre le risque de ne générer aucun changement (nous n’avons malheureusement pas tous le charisme de Camille Etienne).


Une autre limitation concerne l’influence des normes et leurs points de bascule. La recherche actuelle montre que différentes normes nécessitent des taux d’adoption très différents (parfois pourtant inférieurs à 10%) pour installer des points de bascule, où l’effet de conformité rentrera en scène. Quel est le réel pouvoir des normes sociales et de ses points de bascule dans la transition écologique? Est-ce ce fameux « 3,5% » décrit? A quelles conditions cela peut-il se concrétiser?


Un dernier point d’attention concerne le potentiel effet de masse rapide de changements de normes. Imaginons: si demain on arrête tous l’avion, la viande et les produits issus de l’agriculture conventionnelle: l’inertie du système signifie qu’énormément de gens risquent de perdre leur métier d’un coup, des gens qui sont souvent eux-même victimes de leur situation (face à la précarité on ne choisit pas spécialement son travail par exemple). Si nous changeons, nous devrons impérativement réfléchir à comment embarquer tout le monde, et pour cela il faudra mettre tout le monde sur la même longueur d’ondes. 


Par exemple, il ne faut surtout pas délaisser les agriculteurs ou pêcheurs déjà à la merci des grandes chaînes et des industriels, il faut principalement les aider pour restaurer le vivant, arrêter l’utilisation des pesticides,… Tout comme il faudra proposer des solutions à ces grandes chaînes et ces industriels. 


Comme vous pouvez aujourd’hui être écolo car vous avez été soumis à des normes écologiques et/ou autres facteurs influençant (in)consciemment votre prise de position, d’autres personnes perpétrant la destruction du vivant sont également dans des situations qui régissent leurs comportements. Cela signifie concrètement que nous aurions probablement fait pareil à leur place. Les articles suivants serviront à expliquer ces mécanismes plus en détail.


Et c’est là que notre influence en rendant visible l’altruisme et l’entraide, incitera peut-être de plus grosses fortunes autour de nous à faire de même et à utiliser leurs ressources (temps & argent) pour aider ces gens, car nous avons besoin de tout le monde.


Mais l’action individuelle, est-ce vraiment utile? N’est-ce pas une perte de temps face à l’urgence?

Alors vous avez peut-être entendu que le concept d’empreinte carbone avait été inventé par Shell pour responsabiliser les consommateurs et dépolitiser le changement climatique. Vous avez peut-être également vu cette étude de Carbone 4 (qui n’est pas une étude scientifique attention!) qui mentionne que les changements individuels représentent entre 25% à 45% de la diminution de son empreinte carbone. Ont-ils raison?

Comme il est également indiqué dans cet article de Bon Pote: non.


On peut effectivement penser que se perdre dans des changements personnels n’atteindra en valeur absolue que 25% (voire 45% pour ceux qui en ont les moyens) de la diminution d’empreinte nécessaire et que le temps passé là-dessus jouerait en la faveur des destructeurs de la planète. 


Mais ce que ce genre d’études ne mentionne pas et que vous savez désormais, c’est d’une part l’influence que nous avons à partir du moment où nos changements individuels sont rendus visibles et d’autre part à quel point l’impact réel de nos changements en valeur absolue est important. Ils permettent non seulement d’influencer nos proches et le reste de la société à commencer par atteindre les 25% ou 45% – ce qui correspond à des changements majeurs -, mais également à envoyer des signaux clairs aux dirigeants et entreprises ainsi qu’aux autres pays sur nos envies et besoins et à quel point nous pouvons être « cools » en promouvant des nouvelles tendances vertueuses. 


Il faut donc voir cela comme des dominos que l’on fait tomber l’un après l’autre: il est difficile de faire changer les décisions politiques – et par conséquent les politiciens – si ce changement ne se fait pas de façon croissante dans leurs cercles également. Comme le dit François Gemenne (un des auteurs principaux du GIEC), « Quand je regarde les évolutions de la société, je dois bien constater que les gouvernements sont à la remorque des entreprises, des citoyens et des collectivités contre le changement climatique. Si on attend l’impulsion de l’Etat, on risque d’attendre longtemps. » 

 

Il faut bien distinguer les normes injonctives, bien moins efficaces que les normes descriptives (Boon-Falleur et al., 2022): dire ce qu’il faut faire et que les gens attendent (injonction) est beaucoup moins efficace que de dire ce que les gens font, de parler des comportements qu’ils adoptent (description). 

 

Cela signifie premièrement que pour faire changer (tant les politiciens que les citoyens) il sera plus efficace pour nous citoyens de « faire » tout en le rendant visible (dans la mesure du possible évidemment) que de « dire qu’il faut faire« . 

 

Deuxièmement, cela signifie également que pour des politiciens, appeler à adopter des comportements ne sera probablement réellement efficace qu’à partir du moment où ils les adopteront eux-même, tant pour des raisons de crédibilité que des raisons d’équité (dire aux gens de faire des efforts mais en n’en faisant pas ou peu soi-même ne fonctionne pas).

De manière générale, si demain tout le monde se rend chez les petits producteurs et achète toute la nourriture bio disponible, délaisse la viande (hors agroécologie) et les grandes surfaces, il y aura un signal très clair des tendances des normes, tant physiquement que sur les marchés. 


Cela permettra de rendre visible des tendances qu’on ne décèle pas spécialement au quotidien. A ce moment-là, le reste de la société (incluant le politique étant donné que tout politicien est également un citoyen avant tout), développera un sens de conformisme social et sera beaucoup plus encline à promouvoir des politiques de changement pour tous. 


Considérer uniquement l’impact « carbone » (d’ailleurs sans spécialement inclure la biodiversité!) d’un changement en valeur absolue est donc fallacieux. Cela néglige la valeur absolue de nos changements, l’influence que nous avons sur les autres, et également l’influence exponentielle de chacun de nos changements en nourrissant des boucles de rétroaction vertueuses cette fois-ci.


La capacité des normes sociales (vertueuses) à changer notre société est immense, chose qui n’est pas mentionnée dans cette étude, et à laquelle les présupposés inventeurs de l’empreinte carbone n’auront certainement pas pensé. La question est donc: comment optimiser nos changements pour maximiser notre impact et notre influence à moindre effort? (Et c’est justement le sujet de l’article suivant)


Finalement, que se passe-t-il quand je change?

Une fois que l’on a réalisé l’impact en valeur absolue de nos comportements, que l’on réalise l’influence que l’on a sur l’offre en tant que consommateur, et que l’on comprend que nos comportements influencent également ceux des autres simplement en les rendant visibles et non en forçant les autres, on s’offre toutes les raisons de se sentir extrêmement bien lorsqu’on change, parce qu‘on fait d’une pierre beaucoup de coups:


    • Bien que notre impact puisse paraître faible, une fois considéré en valeur absolue on se rend compte que ça peut être en réalité gigantesque, et l’on commence à comprendre tout ce qu’on évite de perdre ou de tuer chaque année, voire chaque jour.
    • Une fois que l’on arrête de rémunérer les destructeurs de la planète par nos simples achats, nous arrêtons également de nourrir les boucles de rétroaction positive néfastes, ce qui a un impact exponentiel. Nous alimentons également la naissance d’une production plus soutenable.
    • Enfin, lorsque nous changeons de façon visible, notre influence fait changer nos proches sans qu’on en ait conscience, et de surcroit se perpétue de façon indirecte par eux, nourrissant également des chaines de rétroaction exponentielles mais vertueuses cette fois-ci.

C’est avec cette influence positive et la modification de notre consommation que nous nous donnons donc les meilleures chances (exponentielles qui plus est) de nous offrir un futur, peut-être pas tout rose, mais pas tout noir non plus.

 

 

La suite: Comment optimiser son action individuelle pour générer un maximum d’impact?

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