Ecologie: les erreurs à ne pas commettre


Situation


Vous vous souciez de l’avenir de notre planète et depuis peu, vous avez commencé à comprendre l’impact que vous aviez dans votre quotidien. Depuis, vous avez non seulement décidé de changer vos habitudes, mais vous voulez désormais aussi faire changer les autres pour sauver la planète!

Imaginez la situation suivante: vous vous retrouvez à un diner entre potes et un ami vous dit qu’il part en Martinique pour 2 semaines en vacances, ce à quoi vous répondez “Trop cool!” avec un grand sourire, alors que l’entièreté de votre âme est déchirée derrière cette façade à coup de “Empreinte carboooooone!!”. Vous êtes bien évidemment ravi pour lui qu’il voyage et qu’il profite, mais confronté aux enjeux actuels dont il n’a peut-être visiblement pas (assez) conscience, vous auriez clairement préféré qu’il profite autrement!

Vos potes qui entendent ça surenchérissent sur leurs voyages prévus, partant du Laos à l’Australie au Chili. La dissonance cognitive atteint son paroxysme en même temps que votre plus beau sourire 🙃. Vous rêvez de leur dire que prendre l’avion ça pollue beaucoup trop, leur demander s’ils ont déjà calculé leur empreinte carbone, qu’on est dans une urgence pas possible, que chaque kg compte et que tout doit changer ASAP (et ce sans même parler de la biodiversité parce que là c’est encore pire) mais vous sentez que ça ne passera pas. Vous savez que vous passerez pour l’oiseau de mauvaise augure brandé “écolo” au lieu de vous réjouir pour vos potes. Et après tout, vous vous rappelez que vous aussi vous preniez l’avion jusqu’il n’y a pas si longtemps: « Suis-je légitime pour donner des leçons? Comment faire pour leur en parler? ».


Heureusement, les choses sont déjà en train de changer et ce genre de scénario se voit de moins en moins! Mais comme pour toute personne écolo (i.e. soucieuse de la vie autour d’elle – donc tout le monde en gros) une fois conscientisée aux menaces sur l’environnement, on désire plus que tout prévenir et faire changer les choses autour de nous, mais cela mène à des prises de positions parfois un peu extrêmes.

Ça commence par des points de vue assez tranchés vis-à-vis du comportement de nos proches (et leurs voyages en avion par exemple) en essayant de les prévenir, de les en empêcher, mêlant l’incompréhension, les remarques pessimistes et les débats houleux (qui ne se finissent généralement pas très bien). Et pour certaines personnes, ça va jusqu’à se créer des nouveaux groupes et/ou faire des actions de désobéissance civile souvent mal reçues comme bloquer des évènements, des routes publiques, ou encore mettre de la sauce tomate sur des (vitres de) peintures.

Agir à l’encontre des normes actuelles et sacrifier son statut social pour une cause, c’est quelque chose que nous ne sommes pas souvent prêts à faire — compte tenu de notre besoin de statut social pour vivre en société — et qui pourtant témoigne de l’urgence et de la nécessité d’action face à ces crises multiples, et ce d’autant plus lorsque même les scientifiques les plus éminents s’y mettent.


Les raisons ne manquent pas pour changer, et pourtant nous n’arrivons même pas à nous légitimer auprès de nos proches, à leur faire comprendre… Pourquoi? Sommes-nous voués à perdre ET la planète ET notre crédibilité pour ainsi chacun se retrouver dans un combat seul face aux autres qui n’en peuvent plus de nos discours écolos? Allons-nous nous retrouver dans une bataille complètement polarisée entre l’“entre-soi” écolo et le monde de la destruction du vivant pendant que des spectateurs assistent à la scène ne sachant que faire ou penser? 


Si nous voulons y arriver, nous ne pouvons plus nous permettre de commettre d’erreur au vu du manque de temps. Nous devons tous comprendre quelles sont les erreurs qu’il faut absolument éviter pour se donner les meilleures chances d’être écoutés et de faire changer. Nous avons besoin, plus que jamais, d’une société unie et solidaire face aux menaces qui nous concernent tous (animal et végétal), réunissant tant les Pouyannet et Macron que les Thomas Wagner et Camille Etienne, tous main dans la main 🤝 (imaginez-vous ça). 


Mais éviter les erreurs permet-il d’obtenir le meilleur résultat?


Vouloir à tout prix avoir le meilleur effet possible, signifie une augmentation de la prise de risque. Mais au plus le risque est élevé, au plus les chances d’obtenir le pire résultat augmentent également. Quel est le point optimal entre risque et certitude pour s’assurer du meilleur résultat possible? Déterminer une stratégie optimale dans ce contexte climatique est peut-être hors de notre portée, mais comme pour tout problème d’optimisation, fixer les contraintes permet d’ores et déjà de restreindre le champ de recherche en éliminant les erreurs, pour ensuite essayer de déterminer les meilleurs moyens d’action grâce à des heuristiques simples.


Pour illustrer cela, rien de tel qu’une petite histoire:


Imaginez-vous au départ d’une course de 10km, avec comme objectif en tête de battre votre Record Personnel (RP), mais en sachant que vous ne vous êtes pas assez entrainé pour… Courir au rythme nécessaire pour le battre vous mettra très rapidement dans le rouge et au vu de votre entrainement, vous n’avez que 5% de chances de l’atteindre. Mais vous y croyez dur comme fer à ce RP et vous vous dites qu‘il est possible de l’atteindre. “Et si j’étais dans un très bon jour aujourd’hui? Pourquoi pas finalement? Allez come on!!” 


Nous sommes téméraires face à une possibilité de perte” (Kahneman & Tversky dans la Théorie des perspectives)Autrement dit, nous détestons tellement perdre, que nous sommes généralement prêts à tout pour éviter ça. Ici l’objectif c’est le RP, rien d’autre. Ne pas l’atteindre serait vécu comme une perte. Dans cette théorie on apprend également que dans un scénario avec peu de chances de réussite (ici 5%), nous arrivons à nous persuader que nos chances sont en réalité bien plus élevées que ça! Nous surestimons les probabilités d’y arriver. Cela s’appelle l’effet de possibilité (c’est ce qui nous motive à jouer au Loto par exemple). 


Voilà donc les ingrédients rassemblés pour un combo ultra perdant: prise de risque maximale dans cette course, par une combinaison d’aversion à la perte ainsi que d’un optimisme enflé par la surestimation de nos chances réelles. Douce illusion.


Le jour J, le départ de la course est donné, et vous commencez à courir au rythme désiré pour atteindre votre RP, mais au fur et à mesure des kilomètres, vous dépassez vos capacités, vous mettant dans une zone trop difficile à maintenir. L’acide lactique augmente dans les jambes, l’essoufflement et finalement les crampes, vous amènent à perdre de nombreuses minutes, à la limite de l’abandon. 


A votre insu, l’objectif visé a à lui seul biaisé votre meilleure stratégie, car en prenant ce risque, vous avez augmenté les probabilités de finir dans un temps encore moins bon que ce que vous pouviez réaliser ce jour-là au vu de votre entraînement. Si vous aviez couru à un rythme soutenable dès le début — en ne visant pas spécifiquement votre RP, mais en courant à votre rythme — , la probabilité d’abandonner ou de faire un mauvais temps serait restée pratiquement à 0. Vous auriez passé la ligne d’arrivée en vous disant: “j’aurais pu faire mieux, mais j’aurais certainement pu faire bien pire aussi.”.


Ainsi, en ne jouant pas le risque maximal et donc en éliminant les pires erreurs , le meilleur serait resté possible, et cela aurait maximisé vos bénéfices potentiels — un temps pas loin de votre RP, dont vous auriez été bien plus fier que le mauvais temps actuel (que vous ne voulez peut-être même pas afficher sur Strava). 


Eviter les pires erreurs, à défaut de viser obstinément les meilleurs résultats possibles, revient donc potentiellement à adopter la meilleure stratégie, car tout en évitant le pire, elle n’élimine pas pour autant le meilleur résultat réalistiquement possible.


Quid dans un contexte de changement climatique et de perte de biodiversité?


Nous voilà aujourd’hui dans une situation de pertes hautement probables voire avérées pour beaucoup de choses et de personnes, avec des probabilités de succès pratiquement inconnues que nous surestimons naturellement, tant à l’échelle globale qu’individuelle, mués par cet optimisme surélevé (aussi indispensable pour ne pas s’écrouler par terre), alors que nous ne sommes absolument pas préparés à toutes les horreurs qui risquent de nous arriver dans un système absolument obsolète. Les ingrédients pour la prise de risque maximale sont à nouveau au rendez-vous, et que ça soit au niveau hiérarchique le plus haut de notre société ou aux repas de famille, chacun de nous y est confronté au qotidien: “Dois-je crier, dois-je manifester, dois-je partager ce post ou cet article intéressant? Dois-je interpeller le gouvernement avec une pétition? Cela fera-t-il changer des gens? Que faire??” 


Dans ce contexte de changement climatique et de perte de biodiversité, quelles sont donc les pires erreurs possibles pour toute personne qui souhaite faire changer les autres? Comment optimiser nos actions sans compromettre notre crédibilité?


La pire erreur serait, en voulant avoir le meilleur impact possible, de ne pas avoir d’impact du tout, ce qui signifie ne faire changer personne, ou pire, de créer l’effet inverse —  une polarisation des opinions et comportements — et de ne finalement pas faire changer les personnes qui ont un impact significatif sur l’environnement.


Dans quelles situations matérialisons-nous ces pires erreurs? Comment les éviter?


Les erreurs à éviter 🙅‍♂️


Seul face au groupe, ou biais de “groupthink”


Si nous reprenons le diner entre potes du début de l’article, on ressent clairement une forme d’uniformité autour du voyage “loin” en avion. Que se passe-t-il et que ne pouvons-nous pas faire?


Concrètement, une fois que tout le monde s’est exprimé sur un sujet, comme dirait Warren Buffett, exprimer son désaccord face au groupe, “c’est comme roter bruyamment à la table du dîner. Si vous le faites, on finira par vous envoyer manger dans la cuisine” (Sibony, 2019), et rien ne changera.


Que s’est-il passé? Aurions-nous pu intervenir?


La conformité est un aspect fondamental de notre société. Ce que nous disent des études dans le domaine c’est que dans un groupe, la première prise de position autour d’un sujet par une personne du groupe influencera les opinions du reste du groupe. De plus, nous écoutons et croyons généralement plus les gens qui s’expriment avec confiance (qu’ils aient raison ou tord), ce qui influence fortement la croyance du groupe. Cela s’appelle l’”heuristique de confiance”. 


Ces deux facteurs génèrent une “cascade informationnelle” ou autrement dit, par conformité, une fois qu’une personne s’est exprimée sur un sujet, les autres du groupe vont naturellement suivre l’opinion première (parfois contraire aux leurs) qui va s’auto-renforcer pour finalement être une “norme” dans le groupe. A cette cascade d’informations s’ajoute une “cascade réputationnelle”, par laquelle nous ne voulons pas causer de tord à la réputation ou à l’égo des autres (ou à nous-mêmes en exprimant notre désaccord). En effet, si tout le monde s’est déjà exprimé sur ses voyages, il devient difficile de tous les faire passer pour des ignares. Lorsque ça touche à notre “statut”, nous ne voulons pas le perdre, ce qui signifie que s’il y a opposition à la norme affichée, la force du groupe entrera en biais de confirmation, ce qui mènera naturellement à la polarisation des opinions. Et là, la bataille est perdue avant même d’avoir commencé. C’est pour cela que si roter à table n’est pas la norme, le faire vous expose à un rejet du groupe.


En effet, des groupes unanimes vis-à-vis d’un sujet influencent le plus les autres à la conformité, même quand le groupe a tord et que les gens qui débarquent dans le groupe le savent (cela fonctionne pour des choses aussi simples qu’estimer la longueur d’une barre par exemple), et finissent par être convaincus eux-mêmes de ces choses fausses. (En un coup, on comprend mieux pourquoi des gens de chez Total peuvent être persuadés que ce qu’ils font est bien pour le climat.)


Il est donc inutile de s’opposer littéralement à un groupe une fois que l’opinion est formée. Cependant, cela n’empêche pas, si on vous demande ce que vous avez prévu comme vacances de simplement mentionner ce que vous vous faites — qui peut être contraire à la norme (voyager à vélo plutôt qu’en avion), sans pour autant l’afficher en opposition à la norme, ni l’imposer aux autres (personne n’aime recevoir des ordres ou se voir dicter le bon comportement à avoir)


Exemple: “Et toi tu as prévu quoi comme vacances?”

  • Erreur: “moi je ne prends pas l’avion comme vous” (opposition marquée)
  • Erreur: “vous devriez voyager en vélo comme moi” (imposer)
  • Erreur: “l’avion ça pollue trop je voyage à vélo” (opposition marquée)
  • Ok: “J’ai prévu un voyage à vélo j’ai vu pas mal de gens qui s’y mettent ça a l’air trop trop kiffant et ça change! Ca me permet aussi de ne plus prendre l’avion, mais bon après ça c’est une décision perso.”


Vous créez ainsi un précédent d’action, vous ne compromettez pas votre crédibilité, vous ne froissez pas les autres, vous n’imposez rien (vous insistez sur le caractère personnel de votre décision), vous ne passez pas pour un “radical” bizarre, ce qui fait que les gens continuent à s’identifier à vous et donc valorisent votre opinion (ce qui est le plus important pour propager des normes vertueuses!). La graine est plantée et par effet de simple exposition, dans une prochaine discussion, les personnes présentes entendront peut-être d’autres gens faire pareil, ce qui permettra l’identification d’une nouvelle tendance de norme. Vous aurez dans une autre conversation peut-être la chance de vous exprimer en premier cette fois-là et ainsi prendre les devants et apporter une dynamique nouvelle à la norme du groupe, que ça soit sur les voyages, les habitudes alimentaires, …


“J’ai raison, tu as tord.”


L’heuristique de l’affect est particulièrement puissant et nous y sommes tous confrontés. Si je vous demande de mentionner les avantages et inconvénients du nucléaire et que vous êtes écolo fan de Jancovici, la liste d’avantages sera largement supérieure à la liste d’inconvénients. Certains inconvénients réels seront omis ou leur danger diminué. Une personne pro-ENR vous fera le schéma exactement inverse. 


Rajoutez à ça le biais de confirmation, si une discussion commence entre les deux, ils camperont sur leurs positions car ne valoriseront pas les sources amenées, ni les arguments, sans même considérer une seule seconde qu’on puisse être biaisé. Les tensions vont escalader et les opinions se polariser (et qui accepterait après 10 minutes de débat acharné d’avoir eu tord).

Pour avoir une conversation censée, comprendre que l’on puisse être biaisé est important. Et dans ce genre de cas, avoir conscience du principe de réciprocité peut aider: nous sommes plus enclins à rendre des services équivalents à des personnes qui nous en ont rendus, et à retourner de la méchanceté à ceux qui nous en ont donnée.


“Il faut, y a qu’à”, “Fais ce que je dis pas ce que je fais”


On passe notre temps à « dire ce qu’il faut faire« , en ne comprenant pas que ce qui fait changer les gens c’est rendre visible « ce qu’on fait« . Nous négligeons complètement l’influence sociale que nous avons sur les autres et comment nos comportements aident à faire émerger des normes (Nolan et al., 2008).

L’équité est par ailleurs une thématique centrale chez l’humain et généralement les donneurs de leçons qui n’appliquent pas leurs propres recommandations n’ont pas une grande légitimité. L’exemplarité est le meilleur moyen d’influencer les autres. (mais quel type d’exemplarité, au-delà des gestes individuels, ça c’est une question complexe, voir article suivant)


Les gens sont en effet réticents à fournir des efforts lorsque d’autres (plus riches par exemple) n’en fournissent pas, ce qui est légitime. Pour des raisons d’équité, il est bien évidemment légitime de s’indigner de l’inaction et du greenwashing quand on le voit et qu’on est justement face à ces situations, dans lesquelles les efforts ne sont pas répartis équitablement.

Mais ici la question du référentiel est primordiale quand on parle d’inaction (quand on en a les moyens) : à qui nous comparons-nous ?


En effet, imaginons Lucas qui vit confortablement à Paris. Il n’aura peut-être pas envie d’arrêter de prendre l’avion 1x par an s’il voit que les grosses fortunes du CAC40 ou que son voisin continuent à rouler dans leurs grosses voitures ou à prendre leurs jets en toute impunité. Cependant, qu’en est-il des 90% d’humains qui n’ont jamais pris l’avion, qui vivent probablement dans des conditions ou la moindre tonne de CO2 supplémentaire à un impact direct sur leurs chances de survie? A qui nous comparons-nous ? Quels sont les ancrages auxquels nous sommes inconsciemment soumis?


Ce que Lucas ignore également, c’est qu’en changeant lui-même, en montrant des comportements vertueux (dans la limite du possible évidemment, tout le monde n’a pas la possibilité de changer), il peut également influencer d’autres personnes proches de lui qui elles-mêmes influenceront le riche voisin ou les grosses fortunes. Cependant des gens dans la situation de Lucas il y en a plein, et la majorité d’entre eux ne peuvent pas changer volontairement du à la dépendance accrue de notre société aux fossiles. Ceux qui peuvent changer doivent donc devenir la voix de ces personnes, simplement en agissant, ou en leur en donnant les moyens. La portée de notre influence est déterminée par notre ouverture sociale. Peu importe notre situation, pour maximiser notre influence, il faut maximiser notre ouverture, ce qui signifie qu’il faut surtout éviter de la diminuer, et donc éviter de nous opposer aux autres.


“Ne prends pas l’avion! Prends le train!!” 


Si on en revient au diner entre potes, la première personne à s’être exprimée a simplement annoncé ce qu’elle faisait (prendre l’avion pour aller en Martinique), ce qui a entrainé une cascade informationnelle. Imaginez que son objectif initial avait été de faire en sorte que les gens prennent absolument l’avion: si elle avait dit à la place “Vous devez faire comme moi vous devez prendre l’avion!!”, cela aurait-il eu le même effet? Non. Ce comportement bizarre aurait remis en question la source, son information et donc la validité de ses comportements. Voilà donc une erreur à ne pas commettreimposer des choses aux autres pour maximiser leur adoption. Nous n’avons en réalité pas besoin de ça, la visibilité de nos actions suffit. Oui, nous avons tous la capacité d’influencer les autres, simplement par nos actions et la visibilité de nos comportements.


De façon complémentaire, lorsqu’une personne écolo apprend qu’un comportement est néfaste, elle aura le réflexe de se dire qu’il faut “interdire ça directement”. Elle commencera par alerter ses potes, à leur expliquer pourquoi c’est néfaste et dangereux, mais cela fonctionne-t-il? Et bien… oui mais pas toujours très bien comme vous avez probablement pu l’expérimenter! Ce qu’il faut? Ne pas imposer, simplement montrer les comportements alternatifs qu’on adopte: “je fais un voyage à vélo cet été ça va être incroyable!”, “je (ne) mange moins (plus) de viande”. 


Nous sommes prêts à tellement plus d’efforts juste pour être conforme à la norme plutôt que pour d’autres raisons bien plus valables (sauver nos vies). Cela signifie potentiellement que la majeure partie des humains changeront probablement de comportement non pas pour des raisons écologiques mais bien pour une question de statut social. Pensez par exemple à la simple existence du Greenwashing, pratiqué pour des bénéfices réputationnels. 


Cela nous permet finalement de comprendre que c’est l’effet de conformité sociale qui fera changer la majorité des gens, en attendant simplement adopter des comportements vertueux et les rendre visible pour d’autres sans imposer suffira. Cela n’est peut-être pas la méthode qui parait la “plus rapide”, mais c’est celle qui enlève le plus de freins cognitifs et qui permet d’obtenir des résultats tant à l’échelle individuelle que collective.


« 3,3 à 3,6 milliards de personnes vivent dans des conditions à risque »


Voilà, nous parlons de chiffres, d’additions, de pourcentages, des choses que l’humain n’arrive pas à comprendre, et pourtant on nous bassine tous les jours avec ça. « 1 mort c’est une tragédie, 1 million de morts c’est une statistique ». Voilà qui résume bien la chose. Ce que l’humain comprend de façon intuitive (système 1) et sans efforts : les comparaisons, les substitutions et les équivalences d’intensité. Voilà pourquoi sur ce site vous ne voyez aucun chiffre (ou très peu) mais uniquement des histoires, des équivalences et des comparaisons, pour faire comprendre concrètement ce que ces chiffres et ces rapports scientifiques veulent dire lorsqu’ils sont transposés dans notre quotidien, et ainsi contribuer à des renversements de préférence.

Evitez donc dans la mesure du possible de balancer des chiffres à la figure des autres, car ils n’auront jamais l’impact désiré. Voilà pourquoi les rapports du GIEC sont aussi indigestes qu’inefficaces pour faire comprendre aux gens le pétrin dans lequel nous sommes. La perception de la gravité est partiellement inhibée derrière des chiffres non-compatibles avec nos mécanismes cognitifs.

Comme l’écrit Kahneman dans « Système 1, Système 2 », la « négligence du dénominateur » est un effet également pertinent dans ce contexte. Voyez plutôt avec les deux formulations suivantes du même problème: « cette opération est risquée: la probabilité de décès est de 1% », ou bien « cette opération est risquée: 1 personne sur 100 en meurt ». La 2e formulation du même problème crée un affect bien plus important car on ne parle plus de statistiques mais de personnes, on ne voit plus les 99 qui survivent mais la personne qui meurt, on ne voit plus le dénominateur.

De façon plus extrême encore, cette étude a pu démontrer que des personnes jugent une maladie ayant un taux de décès de 12,86% plus dangereuse qu’une maladie tuant 24,14% des gens. Cela, simplement car ils ont présenté la première maladie selon le format « 1286 morts sur 10 000 personnes » et la deuxième sous forme de pourcentage. Notre système intuitif traite avec des individus et non des catégories.

De façon complémentaire, notre esprit ne se prête pas à l’estimation objective d’évènements rares (Kunreuther et al., 2013): « les évènements rares sont sous-estimés par rapport à leur probabilité objective » (Hertwig, 2009) lorsqu’ils ne se sont pas produits depuis longtemps. Cependant, au plus le phénomène s’est produit récemment, au plus on risque de sur-estimer sa probabilité effective : c’est le mécanisme de disponibilité.

Nous percevons les probabilités selon notre perception personnelle de leurs occurrences. S’ils ne se sont jamais produits, et bien nous les sous-estimerons encore plus. Les exercices de prospective sont dans ce sens particulièrement bienvenus (comme l’histoire de Jeanne).

Dans un contexte où nous ne pouvons pas nous permettre de commettre cette erreur de sous-évaluer les risques liés aux enjeux environnementaux, il est donc intéressant de prendre en compte la négligence du dénominateur pour communiquer, ainsi que d’utiliser des mécanismes compréhensibles par nos cerveaux: les équivalences d’intensité, les comparaisons et les substitutions.


“N’importe qui ferait mieux à la place des dirigeants actuels”


Tout le monde est soumis aux mêmes biais, et personne n’échappe aux statistiques. Nous ne sommes en rien supérieurs aux autres malgré le fait que nous en soyons trop souvent persuadés (effet de supériorité à la moyenne). Vous avez même peut-être douté que cette affirmation s’applique à vous. Vous pensez peut-être même que vous auriez mieux fait qu’Emmanuel Macron et sa réforme des retraites – mon intuition me dicte cette solution facile également. Il s’agit d’une illusion. Tout comme l’illusion de Müller-Lyer (voir image ci-dessous), notre vision nous montre que les lignes sont de longueur différente, alors qu’en réalité, elles sont les mêmes. Uniquement le fait de savoir que cette intuition est fausse nous permet de ne pas nous tromper.


Illusion de Müller-Lyer


Voici deux exemples tirés du livre Système 1, Système 2 de Kahneman qui devraient vous faire comprendre que ce n’est probablement pas le cas:


Exemple: vous demandez aux gens dans une assemblée de lever la main s’ils pensent être des conducteurs au-dessus de la moyenne. Vous verrez 90% de l’audience lever la main, ce qui est bien évidemment statistiquement impossible. 


Exemple: vous demandez à un entrepreneur la chance de succès d’une entreprise dans son secteur, il vous répondra 50%. Vous lui demandez sa chance de succès à lui, il vous dira entre 90 et 100%.


Plusieurs éléments dont nous n’avons pas conscience biaisent nos perceptions: l’ignorance de notre ignorance (normes sociales, biais, information, points de référence, connaissance de nos capacités et non de celles des autres,…).


La théorie des perspectives de Kahneman nous dit par exemple que “nous sommes aussi prudents face à une possibilité de gain que téméraires face à une possibilité de perte”. Cela signifie que nos points de référence définissent nos réactions. Si nous ne tenons pas compte de ce fait, les réactions des gens nous paraitront toujours irrationnelles. Si nous étions par exemple à la place de chefs de grandes entreprises ou au gouvernement et qu’il fallait fermer boutique ou prendre des décisions dures, nous serions dans ces situations de pertes. Cela signifie que nous serions donc probablement arrivés aux mêmes décisions risquées qu’eux, car nous aurions été soumis aux mêmes choix, tout en étant victimes des mêmes biais. 


De façon complémentaire, comme le dit Kahneman, nous avons également une “capacité infinie à ignorer notre ignorance”. Que ça soit dans les situations de Pouyannet ou Macron, rien ne nous dit que nous aurions mieux fait ou que nous ferions mieux aujourd’hui (à nouveau, dites-vous que vous ignorez potentiellement beaucoup de choses déterminantes et que vous n’êtes pas soumis aux mêmes normes). Il est donc très important de commencer à comprendre que chaque décision qui nous paraît absurde ou irrationnelle (qu’elle soit correcte ou non) ne nous le paraîtrait peut-être pas si nous avions été à leur place.

Il devient nécessaire de supposer que les gens, riches ou pauvres, agissent probablement de façon rationnelle vis-à-vis de leur situation et que nous n’aurions sans doute pas mieux fait (bien que même en ayant lu ça vous soyez probablement toujours convaincu du contraire). Faire preuve d’humilité est nécessaire pour éviter de s’imaginer des solutions qui n’auraient en réalité pas d’effet voire pire, l’effet inverse. 

Les situations auxquelles nous sommes soumis – comprenant les normes, les informations ainsi que les points de référence – définissent nos décisions plus que notre présupposée « intelligence ».

« Suis-je meilleur qu’Emmanuel Macron? » Je ne pense pas. « Si j’avais été à sa place, si j’avais vécu exactement tout ce qu’il a vécu, aurais-je fait mieux? Aurais-je pris de meilleures décisions? » Probablement pas (bien que mon intuition me glisse cette envie de dire oui sans la moindre hésitation). Nous faisons face aux pires menaces et problèmes que l’humanité ait jamais rencontrées, avec un système complètement obsolète, et nous nous attendons sérieusement à ce que les dirigeants fassent un sans-faute, comme si c’était « normal ». Non. Faux. Je ne voudrais jamais être à la place de Macron car je n’aurais certainement pas pu faire mieux bien que je le désire.

Prenez un sans-abris dans la rue et demandez-vous: « si j’avais été à sa place, si j’avais vécu exactement tout ce qu’il a vécu, aurais-je fait mieux? » La réponse est probablement non, bien que le biais d’optimisme et l’effet de supériorité à la moyenne nous donnent envie de dire oui. La chance est un facteur non-négligeable de notre « réussite ». Là où l’on associe du « mérite » aux succès des ultra-riches, nous nous persuadons que les sans-abris en sont arrivés là par leurs propres fautes. Il y a en réalité simplement beaucoup de chance pour les riches, là où il y a beaucoup de malchance pour les pauvres (ils méritent donc autant les billets actuellement dans nos poches que nous).

Même les scientifiques sont soumis aux mêmes biais et erreurs de jugement. Le conformisme social est tant notre pire ennemi que notre meilleur allié. La théorie de Clovis par exemple – qui implique que l’humain serait arrivé aux Amériques il y a 13 500 ans -, a ainsi prédominé durant tout le XXe siècle. Des découvertes infirmant cela par Jacques Cinq-Mars et plus tard d’autres archéologues (voir ce chouette documentaire ARTE sur le sujet) ont ainsi été longtemps dévalorisées, et ont conduit à une polarisation des opinions sur le sujet: par ignorance de leur ignorance, heuristique de l’affect, conformisme social et donc biais de confirmation.

Les premiers archéologues ont en effet fondé une théorie s’appuyant sur des données, mais ignorant leur ignorance, n’ont pas remis en question leur jugement et se sont persuadés de sa validité. Par conformisme social, cette idée s’est imposée, et ensuite, toute information contraire a du être prouvée de façon autrement plus appuyée que cette fameuse « théorie de Clovis » elle-même (!) et n’était par conséquent pas reçue comme étant objectivement correcte. Toute découverte contraire à cette théorie devenue la « norme » a donc été vue comme fausse (oui, le conformisme social arrive donc bien à nous faire croire à des choses fausses, sans qu’on ne s’en rende compte). Les scientifiques n’échappent donc pas à la règle, et nous non plus. Nous ne ferions donc pas mieux que les autres à leur place.


La question en devient donc: « Pourquoi n’aurais-je pas mieux fait qu’Emmanuel Macron? Qu’est-ce que j’ignore?« . Tant que nous n’arrivons pas à répondre à cette question, nous n’avons pas le droit de penser que nous aurions fait mieux.

Par exemple, des politiques climatiques trop radicales vis-à-vis d’une population pas suffisamment alignée et trop clivée pousserait vers l’extrémisme sous toutes ses formes. En sachant cela, ça nous permet de réfléchir à pourquoi on ne change pas, de réfléchir à ce dont nous n’avons pas conscience pour ensuite correctement inciter les gens avec la bonne information et les bons outils. Les articles de cette série sont une tentative partielle de réponse à ces problématiques. (L’objectif est de comprendre les comportements néfastes, pas de les excuser)


Penser que renverser tout un système en place pourrait être utile est fallacieux et faux. Premièrement car je doute fortement au vu de l’histoire que statistiquement cela ait fonctionné (ne négligeons pas la distribution des probabilités). Deuxièmement, car nous n’avons pas le temps tout simplement. Troisièmement, car renverser un système signifie s’opposer, et comme vous l’avez vu, la polarisation des opinions est notre pire ennemi dans la vitesse d’action. Quatrièmement, car nous n’aurions tout simplement pas fait mieux que lui, et nous remplacerions simplement une personne par une autre, qui finirait par rapidement prendre exactement les mêmes types de décisions, voire pire (ne réalisant pas que la situation définit les préférences).

Nous devons donc optimiser notre utilisation de ce dernier (ainsi que de tous les systèmes présents sur cette planète) et aider ces personnes pour arriver au meilleur résultat possible pour l’humanité. Emmanuel Macron ne cherche pas à nous tuer, il est simplement dans une situation qui l’empêche de voir les choses comme vous et moi, il est bloqué dans une illusion comme celle de Müller-Lyer.

La petite métaphore qui suit pourra vous faire comprendre la situation actuelle:

Voyez ça comme si nous étions sur un bateau, qu’il y avait un chant des sirènes qui nous pousse à diriger le bateau vers les récifs meurtriers. Manu est à la barre, mais contrairement à nous il n’a pas de boules quies. Malheureusement nous n’avons pas conscience que notre bon Manu est dans une illusion, nous sommes simplement persuadés qu’il est devenu fou (ou qu’il est con ou qu’il s’en fout de nous). Nous sommes donc là à le réprimander, ce qui en réalité est équivalent à donner un parlophone aux sirènes, qui renforce leur chant, et nous oppose de plus en plus, au lieu d’essayer d’aider Manu en lui donnant des boules quies.

Nous devons être plus intelligents que nous ne l’avons jamais été. Nous sommes dans une situation où notre intuition ne nous sera d’aucune aide comme vous le verrez dans l’article qui suit. Nous devons aujourd’hui plus que jamais nous fier à la science des comportements, pour comprendre comment agir efficacement en évitant les pièges que nous tend notre intuition.

Nous devons, le cas échéant, contribuer à la modification des normes tant dans notre société qu’autour des politiciens et des personnes qui prennent des décisions (équivalent à donner des boules quies). Pour cela nous devons accepter une perte certaine en ne nous opposant pas, justement pour plus facilement faire croitre ces normes contribuant à un conformisme social vertueux, au travers de toutes les strates de la société. Ces normes pouvant évoluer de façon exponentielle, vous en seriez peut-être à la 10e manifestation sur la réforme des retraites que vous auriez déjà pu faire changer Macron d’avis 5 fois de façon drastique. Comme vous le verrez dans l’article suivant, ne sous-estimez pas le caractère exponentiel de l’évolution des normes et donc du conformisme social.


Des normes & des lois dans une société hétérogène : comment ça fonctionne ?


La majeure partie de nos comportements sont définis par les normes en vigueur. Seulement, les normes ne sont pas les mêmes pour tous, étant déterminées par notre environnement souvent proche (les personnes qui les adoptent). On peut donc tout d’abord argumenter que les lois sont potentiellement issues des normes sociales portées par les décideurs. Elles sont des règles que l’on fixe pour la collectivité, des normes injonctives quant au comportement valorisé et attendu, représentatives des normes descriptives (les comportements effectifs).

Ensuite, nous pouvons également argumenter que si les normes de certains entrent en conflit avec les lois, ces personnes auront plus tendance à suivre les normes que les lois, surtout s’il y a des bénéfices/couts réputationnels associés et donc que le comportement est observable par les autres (notre besoin de gestion de réputation étant très important).

Que se passera-t-il s’il n’y a pas suffisamment d’inclusion/intégration sociale ?

Regardons le type de personnes dans les prisons souvent incriminées : ils n’appartiennent généralement pas aux mêmes classes que ceux qui « respectent » ces lois – qui les respectent peut-être eux-mêmes plus parce qu’ils sont sujets aux normes que ces lois représentent.

Pour illustrer ceci prenons les situations de Jordan & Charles:

Jordan, issu de l’immigration, a de la chance de naitre à Paris – ses parents ont failli mourir plusieurs fois lors de leur périple pour échapper aux conflits au Rwanda. Il habite à Barbès-Rochechouart, et la vie n’est pas toujours rose, mais ça va. Il grandit entouré de jeunes comme lui, et leurs grands frères sont des modèles pour lui: ils arrivent à gagner de l’argent, certains ont des belles voitures, et avec l’argent qu’ils gagnent ils nourrissent leurs familles. Ils jouent de temps en temps au foot avec Jordan et ses amis. Jordan aimerait bien subvenir aux besoins de ses parents aussi et les sortir de la misère, comme eux. Jordan essaie de se mettre en valeur auprès des plus âgés qu’il valorise, et un jour ils lui proposent de les aider en faisant ce qu’ils font (dealer de la drogue). Jordan est super content et s’y met! Jordan est intelligent et réussit à ramener un maximum d’argent. Ils sont impressionnés et le lui disent: il est super content de voir qu’il peut se créer sa place et en plus de ça aider ses parents.

Jordan, dans son désir de gestion de son statut social, est soumis au conformisme social par les normes de son quartier et les personnes qui les porte. Il est soumis à l’effet de halo des personnes plus âgées qu’il admire et à qui il aimerait bien ressembler. Il est soumis à l’effet de statu quo et des « options par défaut » par les jobs qu’on lui propose dans son quartier. Par ce conformisme social, il ne valorise pas l’éducation et les études car ses modèles ne les valorisent pas, ce qui crée également une inégalité des chances. Il hait la police car ils mettent en prison les gens qu’il apprécie.

Charles, nait à Paris et habite avec ses parents à Auteuil dans le 16e. Il grandit entouré de jeunes comme lui, et leurs grands frères et grandes soeurs sont des modèles pour lui: il entend ceux qui vont à HEC, Sciences Po et même à l’étranger, à Harvard et la LSE à Londres. Dès qu’il va chez ses amis il s’intéresse à ce qu’ils font et ça l’inspire. Un jour le frère de son meilleur ami, Antoine, discute avec lui et lui explique qu’il doit travailler dur pour y arriver et tout donner durant sa prépa. Charles veut faire pareil, apprendre des langues, partir à l’étranger,… Donc il s’y met, et peut-être qu’il pourra un jour ressembler à eux.

Un jour Charles se retrouve en soirée avec ses amis et certains de leurs grands frères dont Antoine, et ils commencent à utiliser de la drogue. Charles n’a jamais essayé, mais tout le monde le fait ce soir même Antoine et ça a l’air marrant… Pourquoi pas finalement? Mais après un moment la police débarque et tout le monde est interrogé… Ils leur disent qu’ils pourront s’en sortir s’ils donnent le nom du dealer. Un ami d’Antoine donne un numéro, celui de Jordan. Tout avocat pénaliste connait la suite de cette histoire et fulmine probablement en son for intérieur pour la vivre quotidiennement.

Mais quels choix Charles a-t-il réellement eus? Et quels choix Jordan a-t-il réellement eus? Cette situation montre que les normes et le conformisme social qui en découle définissent nos comportements bien plus que ne le font les lois. Les normes sont portées par des groupes, et si les groupes ne communiquent pas, les normes seront potentiellement opposées. Dans un système comme le nôtre soumis à des lois qui ne sont adaptées qu’à certaines normes (et donc uniquement certains groupes/classes), cela signifie des inégalités certaines. Nous ne sommes de plus pas conscients de l’influence individuelle et collective que nous avons par nos actions et comportements – oeuvrer le jour pour le respect des lois et la continuité du système établi mais la nuit pour la promotion des comportements qui vont à son encontre – et comment nous matérialisons ces inégalités en limitant notre ouverture sociale et en consommant des drogues dans ce cas-ci. Par ce manque de connaissance des mécanismes sociaux, il est donc normal que certains puissent penser qu’il y a un « manque d’éducation », là où on le confond avec un manque d' »intégration » et donc de partage des normes sociales vertueuses dont nous sommes tous responsables. Ces mêmes personnes qui se plaignent de ce dit manque d’éducation sont de fait celles qui peuvent contribuer à son amélioration.

On peut maintenant bien évidemment se poser la question « qu’est-ce qu’une bonne éducation? ». Quand on sait qu’aujourd’hui une personne éduquée est une personne qui pollue beaucoup – de nouveau car sujette aux normes et conformisme social -, nous avons donc la capacité de changer cela en changeant les normes. Et comme vous le comprenez maintenant, les lois, les interdictions, les obligations ne seront probablement pas d’une réelle utilité face à des normes.

Un argument supplémentaire concernant l’inefficacité de ces lois est l’équité. Une personne au pouvoir est une personne généralement aisée – de par ses avoirs et/ou sa situation -, et par souci d’équité, elle ne peut pas appliquer des restrictions à d’autres plus précaires qui demanderaient des efforts insurmontables/clivants alors que les personnes aisées ne se sont pas privées de leurs vies (de nouveau la question victime/coupable ne se pose pas une fois qu’on comprend la puissance des mécanismes sociaux et que nous ne choisissons pas réellement nos situations face à la (mal)chance et au conformisme social). Cette personne ne peut pas non plus demander à son électorat de s’auto-restreindre, par risque de le perdre. Nous nous retrouvons dans une impossibilité, qui ouvrirait la porte aux extrêmes politiques dans les deux cas. Pourquoi donc ne pas simplement agir de façon exemplaire et laisser le choix à ceux qui le peuvent, et inciter par l’exemplarité comme mentionné plus haut? Nous ne devons pas sous-estimer la force des mécanismes sociaux et donc certainement pas l’influence individuelle que nous avons sur les collectifs.


Et comment je fais maintenant? 🤔


Donc, on a plein de choses à ne pas faire, cool. Mais quelles sont les choses qu’on peut faire et qui peuvent nous aider?


Faire changer sans parler, appelez-moi… “influenceur”


On sait désormais qu’imposer des comportements, dire aux autres ce qu’il faut faire, interdire, shamer nos proches, etc. risque de créer de la réactance, et est donc potentiellement contreproductif! Le meilleur moyen de normaliser des comportements c’est de les rendre visible ! Par conséquent, l’exemplarité est notre meilleur alliée : agir et rendre visibles des normes vertueuses. S’ils sont curieux, s’ils veulent en savoir plus, ils vous poseront des questions à vous ou à d’autres. Si leur cerveau social fonctionne un minimum (ce qui est le cas), ils identifieront inconsciemment la norme en voyant des comportements se multiplier et la suivront. Donc même pas besoin de parler, vous êtes désormais un influenceur, et le meilleur influenceur qui soit, bravo.

Cela signifie qu’il faut cependant être prêt à accepter la perte de ne pas pouvoir faire changer directement quelqu’un qui pollue ou agit de façon néfaste sous vos yeux.

Vous pouvez ainsi vous réjouir en voyant d’un oeil différent les influenceurs actuels à Dubaï etc. Oui, ces personnes sont extrêmement sensibles à la tendance des normes. Ce sont des personnes qui font tout pour être conforme aux normes en vigueur. Par conséquent, si les normes changent, ce seront peut-être les premières à changer. (enfin, à condition d’éviter le biais des couts irrécupérables entre autres).

Les normes évoluent avec des « points de bascule » parfois aussi faibles que 5 ou 10%, ce qui leur donne une capacité d’évolution exponentielle. Cela signifie que les changements dans la société ne sont pas lents, ils sont au contraire extrêmement rapides, juste que notre perception humaine ne nous permet pas de l’apprécier correctement. L’article suivant parle de cette exponentialité plus en détail et à quel point elle est efficace.

 
Valeur absolue VS comparaisons


Vous avez décidé de changer: vous ne prenez pas l’avion, vous mangez moins de viande, vous mangez local (et surtout sans pesticides). Lors d’un diner on vous demande pourquoi vous ne mangez plus de viande et vous expliquez que c’est principalement pour des raisons climatiques, ce à quoi votre ami vous dit “Ouais c’est cool mais même si tout le pays change en fait ça ne représente rien à l’échelle mondiale, genre juste la Chine c’est un monstre, ça changera rien!”. 


Et oui, effectivement la Chine c’est beaucoup plus grand, beaucoup plus de monde, donc qu’en est-il de votre impact? Pouvez-vous changer quelque chose? Que pouvez-vous répondre à ce genre de comparaisons ?


L’argument facile sans même utiliser de « faits » climat : « Ecoute tu fais ce que tu veux, juste que il y a de plus en de gens qui se mettent en mouvement, et moi ça me fait plaisir d’en faire partie et me sentir utile » => Vous parlez ici d’une tendance de norme croissante associée à un comportement minoritaire qui peut créer une « prophétie auto-réalisatrices » (Mortensen et al., 2019).


Les arguments un peu plus « techniques » :


Premièrement, il faut voir les choses en valeur absolue: on s’offusque bien pour une claque dans la figure, mais pas quand on émet du CO2, alors que ça blesse aussi. Combien de kg de CO2 faut-il pour l’équivalent d’une claque? Le choix de moins polluer c’est un choix personnel avant tout, car même si ça parait peu, considéré en valeur absolue ça peut en réalité être beaucoup, et ça nous permet de vivre en accord avec ses valeurs.  


Deuxièmement, il ne faut pas négliger l’influence de nos comportements. Si je change, je me donne les meilleures chances que d’autres autour de moi changent et ainsi de suite. Les normes émergent d’abord localement afin d’émerger plus globalement (Nyborg et al., 2016). Ces comportements reproduits partout, peuvent faire changer un pays, peu importe sa taille et son nombre d’habitants et cela peut aller très vite (la légalisation du mariage gay, l’accès à l’éducation universitaire des femmes aux Etats-Unis dans les années 1970,…), et on se donne donc les meilleurs chances pour que les pays voisins le fassent aussi et ainsi de suite par effet de conformité.

Tout changement a donc sa raison d’être, aussi petit soit-il. Vous cherchez un exemple pour vous en convaincre? La légalisation du marriage de même sexe dans de nombreux pays, où progressivement chaque individu a pu « nudger » son entourage à son échelle, donner une visibilité, afficher la tendance d’une norme, et ce qui résulte en une adoption progressive par d’autres (cf. Nudge). Peu importe l’échelle, l’influence fonctionne pour créer des cascades de disponibilité, et faire changer tant des personnes que des pays.


Quelles sont les tendances?


Vous voulez faire avancer les choses, mais il s’agit souvent de comportements que très peu de gens adoptent (ne pas tondre sa pelouse, ne pas prendre l’avion, ne pas manger de viande,…). Mais heureusement, lorsqu’il s’agit de comportements minoritaires, vous pouvez changer la donne en parlant des tendances! 😱 Etant donné que nous sommes constamment en recherche de statut social, adopter un comportement en avance, fait de nous quelqu’un de cool. En ce sens, si vous parlez des comportements vertueux qui évoluent positivement, vous les matérialisez également car vous donnez envie aux gens de s’y mettre aussi. Par contre, ne parlez surtout pas des tendances des comportements néfastes, car vous risquez également de les influencer! .

Si vous voyez de plus en plus de gens changer autour de vous même si cela est minoritaire, le simple fait de le dire incitera d’autres à le faire également (rappel: ne pas imposer, uniquement rendre visible). Le simple fait de communiquer sur la tendance croissante d’une norme suffit parfois à la concrétiser, la transformant en prophétie auto-réalisatrice, ce qui en fait un outil très puissant, qu’il faut utiliser judicieusement.

Exemple: « J’entends de plus en plus de gens autour de moi qui ne tondent plus leur pelouse. » Voilà, c’est fait, vous contribuez à l’émergence d’une norme, même pas besoin de vous lancer dans un débat avec mille arguments. Le conformisme social est largement suffisant pour faire changer les lignes.


A l’inverse, dire “je vois de plus en plus de gens climatosceptiques autour de moi” peut contribuer à l’effet inverse en fonction du public auprès duquel vous vous adressez, car vous donnez une visibilité a un groupe qui ne devrait pas exister. Rajouter une composante « injonctive » à ce message permet d’éviter cet écueil : « Il y en a de plus en plus… et c’est une catastrophe !! ». Cela accroitra le potentiel de « mise en action » des personnes qui jusque là faisaient partie de la « majorité silencieuse ».


Il est également possible que la norme soit déjà présente mais que du au phénomène d’ignorance pluraliste, nous ayons l’impression que la majeure partie des gens ne pensent pas encore de cette manière. Pour cette raison, il est d’autant plus important de réussir à simplement montrer ce que nous pensons par nos actions, car il est tout à fait possible de rapidement faire changer les opinions dès qu’on apprend ce que les gens pensent.


Maitre du “timing”: nudger dans le sens du poil


Parler d’empreinte carbone face à un groupe qui vient de parler de voyages en avion pendant 10 minutes: pas une bonne idée. Dire à son pote que la viande de boeuf pollue énormément au moment ou il a commandé un burger? Pas génial non plus. Quand s’exprimer alors? Et comment?


A nouveau, le simple fait de montrer par l’action et non la parole contribue à la normalisation des comportements. Quand vous commandez un burger végé, vous tendez une perche à votre pote qui pourrait vous demander “ah tiens tu prends un végé toi maintenant?”.

Comment répondre? “Oui j’ai vu des infos intéressantes de l’impact de la viande sur le climat et la santé et du coup j’ai décidé de diminuer”. On voit ici un choix personnel, non imposé aux autres, et en en parlant, vous participez à la visibilité et donc l’émergence d’une norme. Et si le bon moment ne se pointe pas lors de ce repas, ne vous en faites pas, vous ou quelqu’un d’autre en aura l’opportunité. Bien que nous n’ayons pas beaucoup de temps, il faut éviter les erreurs et pour ça, la patience (même face à l’urgence) est clé.


Conclusion


Dans cet article déjà trop long, vous avez maintenant des nouvelles flèches à votre arc! Le COVID c’est un R effectif de 2 (donc chaque personne en contamine 2 et ainsi de suite) et cela nous a permis d’arriver à une pandémie en moins de 2 mois… Le type de message que vous portez est donc très important et peut très vite avoir un impact. Comme vous avez pu le voir les normes peuvent changer très vite, pour cela il faut éviter d’actionner une réaction « auto-immune » chez les gens : encouragez les changements positifs, n’imposez pas, agissez tant pour votre impact en valeur absolue que pour votre influence, rendez vos actions visibles, parlez des tendances des normes, et petit à petit (ou très vite) le changement se fera !


Si vous cherchez justement une bon moyen facile de mieux (faire) comprendre l’urgence actuelle, sans pour autant (faire) culpabiliser, l’article suivant vous sera d’une grande aide :


La suite: La maison d’Harold brûle mais il n’agit pas… Et pourtant il n’est pas bête, que se passe-t-il ?


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