Jeanne et Betty nous ont montré que les décisions politiques et entrepreneuriales d’aujourd’hui comportent souvent des risques inconsidérés dû à l’effet de possibilité face à une perte probable, et que nos choix individuels face au changement climatique n’y échappent pas. Voyons maintenant les aspects complémentaires de la prise de décision de “Jeanne” et “Betty” en 2023.
En tenant compte de la théorie des perspectives, des biais cognitifs et de notre besoin de statut social, quelle serait la stratégie la plus probable de Betty, et en quoi celle-ci est-elle bonne ou mauvaise ?
Dans l’article précédent, nous avions d’une part, les personnes relativement pauvres (Jeanne) dans une situation de gain potentiel, qui n’ont donc en réalité rien à gagner à prendre des risques inconsidérés en jouant leur avenir à la roulette. Elles sont de ce fait plus “rationnelles” que les personnes relativement plus riches. D’autre part, nous avons les personnes relativement plus riches qui se perçoivent comme étant dans une situation de perte potentielle (Betty), qui ont peut-être tout à gagner à prendre des risques inconsidérés, et opteront donc pour des situations souvent non-avantageuses. (A noter qu’il suffirait cependant — toutes choses égales par ailleurs — d’inverser les capitaux disponibles de Jeanne et Betty pour voir que leurs préférences s’inverseront naturellement.)
Analysons donc concrètement la situation de Betty et de son capital de 4 millions en 2023 et ses possibilités face aux crises climatiques et de biodiversité qui arrivent.
Les biais facteurs de rêves : comment nos perceptions nous font vivre dans une illusion
Betty, en entendant parler du changement climatique, de la perte de biodiversité et en comprenant que l’accès aux ressources se fera plus difficile, cherche naturellement à se protéger à tout prix, et compte tenu de son aversion naturelle à la perte, cherche à éviter de perdre quoi que ce soit. Dans un monde où l’argent est roi, cela signifie continuer à accumuler encore plus de ressources/richesses dans le but d’entrevoir un futur possible pour elle-même et sa famille. Une réaction logique pourrait donc être: “De combien d’argent ai-je besoin pour me mettre à l’abri? Où dois-je aller pour être certaine de trouver de l’eau et de la nourriture en suffisance ainsi qu’un climat soutenable pour survivre toute ma vie avec ma famille? ”. Nous voyons là pour Betty le début de la construction d’une stratégie liée au futur qu’elle entrevoit pour elle et sa famille, où ils pourraient vivre correctement.
Mais ce futur-là est-il probable pour Betty? Et surtout, est-ce là la meilleure stratégie pour s’offrir le plus beau futur possible?
Nous avons ici plusieurs biais à l’œuvre (parmi d’autres): négligence de la concurrence, biais d’optimisme, biais de confirmation, biais du planificateur, illusion de contrôle, biais d’ancrage et biais de disponibilité.
Biais d’optimisme et négligence de la concurrence:
Tous les humains dans la situation de Betty vont en réalité penser qu’ils arriveront à s’en tirer, mais qu’est-ce qui nous dit que Betty y arrivera, ET qu’elle y arrivera mieux que d’autres? C’est comme demander à une audience ceux qui pensent avoir un niveau de conduite au-dessus de la moyenne: vous verrez que 90% de l’audience lèvera la main, ce qui est statistiquement impossible.
Etant sujets à l’effet de supériorité par rapport à la moyenne, nous sommes tous persuadés que les statistiques ne s’appliquent qu’aux autres. Est-ce que faire construire un bunker en Nouvelle-Zélande et y emménager (ou déménager dans les pays nordiques) mettrait Betty et sa famille dans une bonne situation? Le biais d’optimisme, combiné au biais de confirmation, contribue à ne nous faire voir qu’un seul futur, celui ou l’on réussit.
Quand il s’agit d’accumuler du capital, on peut ainsi avoir une confiance aveugle dans des investissements immobiliers, pour lesquels on est persuadé que ça ne peut faire que monter sur le long terme. On ne veut tout simplement pas envisager la possibilité (très) probable que ça ne soit pas le cas (surtout dans un contexte de changement climatique). Nous sommes incapables de considérer des informations contraires à nos croyances de façon objective.
Biais du planificateur:
Nous arrivons toujours à établir des plans selon des délais que nous ne respectons pourtant pas, et personne n’y échappe, pas même ceux qui en sont conscients. Le problème est que nous ne considérons que ce dont nous sommes conscients et ignorons notre ignorance. Or, ce sont justement ces “inconnues inconnues” qui nous jouent des tours. Qu’est-ce que Betty ne voit donc pas qui pourrait faire passer tous ses plans à la casserole et l’amener à regretter ses décisions (mais trop tard)?
Dans un contexte où nous n’avons jamais connu de crises de cette ampleur, que nous n’avons donc jamais réalisé de plans de transition à l’échelle de l’humanité et que même les scientifiques ne peuvent prédire l’entièreté des problèmes auxquels nous serons confrontés, on peut sérieusement se poser les questions suivantes: A quel point les plans de transition établis sont-ils réalistes, soutenables et réalisables? A quel point s’ancrer dessus est-il réaliste? Et à quel point le plan de transition de Betty pour se protéger elle et sa famille en continuant à vivre au-dessus des moyens de la planète est-il réaliste et réalisable?
Biais d’ancrage:
De façon complémentaire à la négligence de la concurrence, si nous voyons les stratégies de certaines personnes pour “se sauver”, il est naturel que d’autres agissent de façon similaire, bien que rien ne soit dit quant à leurs probabilités de succès. Betty pourrait donc soit s’imaginer sa petite transition perso en étant persuadée qu’elle en a premièrement le temps et deuxièmement, qu’elle est la seule à être suffisamment “smart” — ou en tout cas qu’elle sera au-dessus de beaucoup d’autres — , soit qu’elle aura suffisamment bien investigué que pour imiter ceux qui lui paraissent avoir adopté de bonnes stratégies (les fameux bunkers en Nouvelle-Zélande).
De façon complémentaire, nous ancrons notre réalité tant au niveau personnel que politique, ainsi qu’au niveau des entreprises sur des agendas de transition qui nous paraissent réalistes aux horizons 2025, 2030 et 2050, dans lesquels aucune catastrophe empêchant la réalisation de ces plans n’est envisagée (uniquement des événements “quelque peu contraignants” dont la fréquence augmentera).
Mais qu’est-ce qui nous dit que la réalité (la nature) respectera ces délais-là? Les vraies catastrophes n’arriveront en effet qu’après avoir dépassé les points de non-retour, mais au moment où ne le réaliserons vraiment, il sera bien trop tard pour agir. Imaginons des dominos: si le premier tombe, bien qu’on puisse entre-temps apercevoir les autres tomber, si nous nous trouvons sur le dernier, il est trop tard pour le retenir. Notre incapacité à voir ces dépendances, à voir l’impact que nous avons sur ces dominos, ainsi qu’à voir les conséquences de le faire tomber, enlèvent cette disponibilité ainsi que notre capacité d’action.
Cet ancrage sur tous ces plans — comme nous les avons toujours vécus dans notre société “moderne” — nous donne cette sensation de stabilité, de réalisme et de faisabilité, pour nous emmener dans cette illusion de contrôle et de normalité. La réalité est que ces plans sont réalisés de façon à entretenir un espoir de transition faisable à l’échelle humaine, là où la nature ne nous attendra pas et risque de se dessiner tout à fait autrement et d’envoyer tous ces plans et leurs ancrages à la poubelle.
Pour mieux se représenter l’urgence de la situation versus nos ancrages: qu’avez-vous planifié cette année? Quand posez-vous vos congés? Quand partez-vous en vacances? Avec qui? Notre réalité est en effet ancrée sur différents éléments comme des vacances prévues cet été, les échéances dans notre boulot, continuer ce dernier ou changer à la rentrée, et ce, tout en continuant à entendre des nouvelles anxiogènes comme des feux de forêt, des dauphins qui meurent, les océans qui se vident, les animaux qui disparaissent, mais en espérant que quelque chose de positif se passe, que quelqu’un prenne les choses en main. Cela nous amène au biais suivant:
Effet de diffusion de responsabilité
La perte actuelle de biodiversité — largement due à nos techniques agricoles (pesticides, déforestation,…) — , signifie en effet que tout s’effondre, et que nous ne devrions pas avoir le temps de partir en vacances ni de “travailler”, nous devrions être nous-mêmes en train de tout faire pour remédier à l’utilisation de pesticides, mais cela requiert des achats différents, des métiers différents, des investissements différents, des méthodes agricoles différentes à plus petite échelle, et donc plus de main d’oeuvre: nous. Il n’y a pas de recette magique pour garder de l’eau potable et de la nourriture pour tous et en plus de ça capter du carbone. Ce n’est pas l’invention de graines plus résistantes aux maladies qui nous sauveront, c’est le changement de ce système. Et alors que nous avons l’impression que nous ne sommes que des spectateurs, nous sommes en réalité les héros que nous attendons.
A l’image d’Harry Potter dans le « Prisonnier d’Azkaban »: lorsqu’il retourne dans le passé et voit son parrain Sirius Black en proie aux détraqueurs en train de mourir devant lui, mais qu’il attend désespérément car il est persuadé que la personne qui est apparue à ce moment-là pour le sauver, n’était autre que son père. Ainsi, il regarde la scène avant de comprendre qu’il n’y a que lui qui détient les clés pour sauver Sirius et sa version du passé. Il s’agit là d’une forme d’effet témoin (ou diffusion de responsabilité).
Biais de disponibilité :
La disponibilité historique dans nos mémoires d’une catastrophe planétaire est nulle. Cela a un impact réel sur notre préparation et notre vision face à la menace, que nous estimons donc nulle pour nous-mêmes également, et qui ne pourrait atteindre que les autres (effet de supériorité à la moyenne). A nouveau, nous construisons un récit mental dans lequel notre transition individuelle sera fort probablement faisable. Au plus ce récit imaginaire nous semble cohérent, au plus nous le jugerons probable — alors que c’est probablement tout l’inverse — , inhibant tout effort d’atténuation et de préparation suffisante. Nous confondons plausibilité et probabilité. S’imaginer un récit de réussite plausible (un plan de transition où Betty vit tranquillement) ne signifie pas qu’il est probable pour autant.
Demandez-vous, quelle est la probabilité de ces deux occurrences durant le cours d’une vie entière:
- Gagner au Loto en jouant une fois par semaine depuis ses 18 ans
- Mourir d’une maladie cardiovasculaire
Le décès par maladie cardiovasculaire est plus de 1300 fois plus probable (Loto: 1 chance sur 4300, maladies cardiovasculaires: 1 chance sur 3).
Nous utilisons la disponibilité des gens qui gagnent au Loto pour alimenter l’effet de possibilité et surestimer les probabilités. Et cette surestimation sera encore plus forte au plus nous connaissons des gens qui ont gagné des gens au Loto, et au moins nous avons été confrontés à des cas de décès par maladie cardiovasculaire. Et ce phénomène est encore renforcé par les médias dans ce que Kahneman appelle des cascades de disponibilité, qui parlent plus de vainqueurs de Loto que de décès par maladies cardiovasculaires, ce qui affecte la couverture politique également (en gros les politiques publiques ne s’occupent pas suffisamment de diminuer les causes de maladies cardiovasculaires, car ce n’est pas ce que désire l’électorat, alors que c’est ce dont il a besoin).
Nous commettons la même erreur avec la transition. L’humanité n’a jamais vécu d’extinction de masse, ni de réchauffement climatique, et nous voyons tous les jours la nature qui se porte approximativement bien (ou en tout cas nous nous raccrochons potentiellement à cet espoir par biais de confirmation et biais d’optimisme), bien que des points de non-retour aient déjà été (ou soient en passe d’être) franchis. Nous n’avons pas encore de souvenir disponible des conséquences désastreuses que ces crises peuvent causer (juste des micro signaux d’attention), nous n’arrivons donc pas à nous préparer en conséquence, ni à faire des efforts pour atténuer ces changements.
Tous ces biais font en sorte que nos perceptions guident nos décisions, alors que ces perceptions elles-mêmes sont naturellement biaisées et complètement détachées de la réalité.
Moi ou les autres ? Argent ou statut social ? Quelle est la stratégie gagnante pour l’avenir ?
Essayons maintenant de voir comment Betty va réagir maintenant qu’elle comprend un peu mieux ce qui se trame. Reprenons sa stratégie initiale — qui consiste à accumuler de l’argent pour se protéger — et essayons de voir si on peut l’améliorer en se focalisant sur les questions suivantes:
Qu’est-ce que Betty n’arrive donc pas à voir qui pourrait lui porter préjudice dans sa stratégie personnelle de transition ? Quels sont les facteurs qu’elle ignore mais qui devraient jouer un rôle majeur dans sa prise de décision ?
Réputation quand tu nous tiens
La majeure partie de nos comportements sont régis par les normes sociales, portées par les individus des groupes avec lesquels nous communiquons.
Au plus notre comportement est conforme aux normes en vigueur au sein de notre groupe, au plus nous avons de chances de maintenir une bonne réputation. C’est pour cela qu’on ne se balade pas tout nu et qu’on fait attention à ce qu’on dit et ce qu’on fait quotidiennement.
Cependant, ce que Betty ignore peut-être, c’est que les normes évoluent. La norme d’aujourd’hui n’est peut-être pas celle de demain, et si nous n’arrivons pas à détecter ces changements, nous risquons de nous-mêmes porter un coup à notre statut social en agissant de façon non conforme — il suffit de voir l’importance qu’on attache à comment les gens s’habillent, aux marques ils portent, aux expressions qu’ils utilisent et au temps qu’on passe à publier des stories de nos voyages sur les réseaux. Combiné à notre aversion à la perte (de statut social dans ce cas-ci), nous sommes constamment en quête de la tendance des normes — pour préserver voire élever notre statut.
De façon complémentaire, nous sommes incapables de percevoir des changements exponentiels. Cela signifie qu’autant une norme peut être bien installée, nous ne nous préparons pas à ce qu’elle puisse changer rapidement, sous prétexte par exemple que ça a “toujours été comme ça”. Cependant, là où le changement climatique et la perte de biodiversité exigent des changements drastiques, ces tendances de nouvelles normes risquent de s’affirmer de façon de plus en plus rapide, et les changements commenceront à se faire ressentir et se confronter tant aux normes obsolètes qu’à l’inertie du système (justement dus à l’aversion à la perte).
On sait par exemple de plus en plus l’impact néfaste en valeur absolue de prendre l’avion, pratique qui commence donc à être mal vue. C’est pour cela que vous voyez un Kylian Mbappé rire en conférence de presse quand on lui demande pourquoi le PSG ne prend pas le train au lieu de l’avion. Vous vous êtes indignés? C’est que vous avez été en contact avec des gens qui valorisent cette norme émergente. Mais qu’en est-il de Mbappé? Est-il bête? Ou seulement victime d’une norme obsolète? La communication entre les groupes sociaux est un éléments clé pour le partage effectif de normes. Demandez-vous maintenant, comment auriez-vous réagi à cette même vidéo si elle avait été publiée en 2020 et non pas en 2022? Quelle était la norme pour vous à ce moment-là?
On peut donc potentiellement anticiper ces nouvelles tendances de normes, et résumer les normes émergentes à celles qui aident la planète aux dépends de celles qui la détruisent, qui polluent. Le problème de Betty est que nous n’imaginons pas les conséquences que des changements de normes peuvent avoir. Premièrement, des normes radicalement opposées signifie une polarisation des opinions probable. Nous sommes actuellement dans cette situation-là. Mais lorsqu’on arrivera au moment où les nouvelles normes nécessaires à la survie de l’humain seront suffisamment présentes, cela impliquera qu’il faudra faire les comptes de notre impact sur l’environnement et payer la note. Ceux qui malheureusement auront été trop longtemps du “mauvais côté” de la norme devront le payer, bien qu’ils aient agi de façon à maintenir leur statut selon les normes qu’ils valorisaient. Par exemple, qu’adviendra-t-il de Kylian Mbappé ? Qu’adviendra-t-il des propriétaires de groupes pétroliers, de banques, des Bernard Arnault et consort? Est-ce de leur faute ?
Illusion de contrôle, causalité et équité
L’humain, dans son illusion de contrôle perpétuelle, ainsi qu’en recherche continue d’équité, cherche continuellement à trouver des liens de causalité pour donner un sens à ce qu’il voit — là où souvent il n’y en a pourtant pas, ou en tout cas pas de façon aussi simple que ce que nous déduisons généralement. Donc bien que notre impact soit à attribuer à un système très (trop) complexe et pas uniquement à quelques personnes qui auront beaucoup détruit la planète en valeur absolue, les personnes qui auront eu l’impression d’avoir subi des injustices chercheront à pointer du doigt des « coupables ». Et ces personnes très riches qui sont aujourd’hui encore des modèles pour beaucoup (les Elon Musk, Bill Gates, Mbappé et consort), seront potentiellement tout l’opposé demain — à moins qu’ils n’arrivent à saisir la tendance de la norme, qui est à l’entraide, la solidarité, et l’investissement dans la protection et restauration de la nature et non à la pollution, consommation et le rendement exponentiel du capital qui fume notre planète quotidiennement.
Argent ou réputation ? Quelle monnaie utiliser face à des normes qui changent ?
L’argent est une valeur représentative des biens que l’on peut acheter. S’il y a globalement moins de biens, il faut nécessairement plus d’argent pour s’approprier chaque bien. Cela signifie que le pouvoir d’achat diminue, et que l’argent vaut donc moins (inflation). C’est ce que nous avons pu voir avec le COVID et la guerre en Ukraine: une production mondiale diminuée face à une demande égale. Ces biens étant moins disponibles, cela mène à une augmentation des prix, voire à des problèmes d’approvisionnement.
Pour les années à venir, compte tenu de ne fût-ce que la finitude de nos ressources, il y aura de façon certaine beaucoup moins à acheter (et littéralement moins — voir potentiellement pas assez — à boire et à manger peu importe où l’on se trouvera), ce qui signifie une dévalorisation certaine de la monnaie. Une première réaction dans un monde qui fonctionne à l’argent serait donc: accumuler plus d’argent pour se protéger. Cependant, accumuler du capital au détriment de la planète contribuerait à justement rendre ces ressources dont on dépend plus rares, et donc contribuer soi-même à cette dévalorisation future, et ainsi se retrouver avec de l’argent qui ne sert à rien car ne se mange pas, et donc à avoir fourni des efforts pour un certain bénéfice monétaire, qu’on juge aujourd’hui peut-être conséquent et utile, mais qui actualisé à demain n’en vaudrait en réalité peut-être pas la peine.
De plus, en tenant compte des normes qui changent, les gens avec de l’argent ne seront plus vus comme des gens qui « réussissent », mais des gens qui polluent en perpétuant le système de destruction par l’accumulation de ressources. Cela reviendrait donc à sacrifier sa réputation, son statut social, sa valeur auprès des autres, alors que c’est la seule constante permettant d’avoir accès à des ressources via nos communautés — car nous les humains, avons besoin des autres pour vivre, et d’autant plus dans des situations d’incertitude.
Betty avec sa stratégie, n’a-t-elle pas tout de même une bonne chance de s’en tirer ?
Imaginons cependant qu’après avoir accumulé du capital on réussisse à le « dépenser à temps » pour se protéger du changement climatique et de l’inflation. À nouveau, le biais de disponibilité, l’effet de possibilité, et l’effet de supériorité à la moyenne nous disent que toute personne dans cette situation pensera par exemple: « oui mais il suffit qu’ils ne me voient pas ». Mais à partir du moment où on cherchera de la nourriture, de l’eau et de l’ombre, si ce n’est pas dans 10 ans, ce sera dans 20 ans, et le moindre petit endroit vert ne sera pas laissé au hasard, et tout le monde se tournera vers Betty, qui avait privilégié sa protection individuelle. A ce moment-là, 2 choix s’offrent à elle: partager et préserver sa réputation ou bien, se protéger des autres, perdre sa réputation et garder ses ressources. En sachant que pour arriver jusque là, il faudrait de plus être relativement bien versée en agriculture pour survivre (et qu’il faut 10 ans pour faire un bon maraîcher…).
Si l’on en revient aux choix initiaux de Betty entre investir dans l’atténuation ou sa protection individuelle, on se rend compte que l’atténuation pour tous est probablement la meilleure option pour elle. L’illusion de penser qu’on peut s’en sortir au détriment des autres, revient à négliger toute notion de probabilité et donc à se tirer une balle dans le pied. Dans le monde qui commence à se dessiner, au plus on donnera, au plus on pourra jouir de la réciprocité de la communauté et de la nature, d’un statut fort, et au plus on recevra. C’est grâce aux autres (l’entièreté de la nature également) que l’humain a évolué durant des millions d’années et nos quelques siècles d’auto-destruction ne nous feront plus échapper à cette réalité.
En bref, investir dans sa propre protection par l’accumulation de capital au détriment de la planète, et au détriment de la protection des autres, revient fort probablement à s’exposer à la perte de son statut et à la perte d’un environnement viable pour soi-même et les autres, et ce peu importe l’échelle de la société à laquelle on se trouve. Plus que jamais, protéger les autres (la nature dans son ensemble), signifie se protéger soi-même, et c’est probablement cette stratégie uniquement, qui évitera les pires erreurs à nous-même individuellement ainsi qu’à l’humanité. Nous n’avons malheureusement pas le luxe de nous laisser guider par des poids décisionnels complètement détachés des probabilités, nous menant à des décisions totalement irrationnelles.
Quels sont finalement les choix de Betty aujourd’hui ?
Betty peut naturellement essayer de se protéger elle-même, mais cela aura un coût d’opportunité littéralement infini. La meilleure stratégie, c’est celle qui évite les pires erreurs. Ces pires erreurs sont de matérialiser un futur dans lequel nous ne pouvons nous adapter: perdre un environnement habitable, perdre un accès à l’eau et à la nourriture, et sacrifier son statut pour une ressource volatile (argent) qui renforce cette auto-destruction.
La meilleure stratégie est donc celle où l’on commence à protéger l’ensemble de la nature tant que c’est encore possible — car quand on aura fait tomber le premier domino (ou ce qu’il en reste) de la chaine (du vivant), il n’y aura plus rien à acheter, donc plus d’argent. Concentrons-nous donc sur ces points de non-retour et stabilisons-les, nous sommes les derniers êtres humains à avoir cette chance, et nous n’aurons pas envie d’avoir à le regretter d’ici très peu de temps.
Nous avons donc pour Betty à nouveau un choix entre le pari et la certitude dans une situation de perte hautement probable de notre confort:
- Le pari: se protéger soi-même en accumulant de l’argent, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien à acheter, et qu’il n’y ait donc plus d’argent: 95% de chances de perdre son statut, son argent, et d’avoir du coup moins d’accès à de la nourriture et de l’eau (climat, biodiversité, immigration, maladies,…), 5% de chances de vivre dans une situation stable avec sa famille à l’écart de la population.
- La certitude: accepter de ne pas se protéger soi-même (perdre une partie de son confort), et investir dans la nature (et la connaissance de cette dernière) et pas dans des rendements de capitaux. Assurer un avenir pour les autres, préserver son statut, contribuer à l’émergence de normes vertueuses, contribuer à l’assurance d’un accès global plus stable en nourriture et eau, ce qui contribuera statistiquement a une meilleure qualité de vie pour Betty.
N’oublions pas, que dans un cas comme dans l’autre, la notion d’influence sur les autres par nos décisions rendues visibles, dirige également les normes et leurs tendances. Changer soi-même influence donc les autres également et nourrit potentiellement la rétroaction positive exponentielle.
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