Chacun d’entre nous, essaie tant bien que mal de se frayer un chemin au travers de la société pour vivre et espérer “réussir”. Notre succès dans cette société, se mesure ainsi à notre capacité à apprendre de son fonctionnement et à nous adapter pour pouvoir en tirer profit. La croissance sans fin de nos innovations — qu’elles soient technologiques, économiques, financières ou organisationnelles — nous amènent plus de confort ainsi qu’une qualité de vie améliorée. Mais l’innovation engendre également une croissance de la complexité systémique.
Complexification de la société et croissance des inégalités: comment s’en sortir?
L’innovation, est-elle réalistiquement bénéfique pour tous?
Aujourd’hui, l’une des causes majeures des inégalités dans le monde est le progrès technologique. Au plus la société innove et se complexifie, au plus de connaissances sont nécessaires pour “réussir” — en témoigne l’explosion des sociétés de service et des professions “spécialisées” ces dernières décennies. Compte tenu du fait que les citoyens n’ont pas accès à la même information et aux mêmes connaissances, cela résultera donc en une certaine croissance des inégalités.
La société fut-elle très simple — à l’image de nos origines et de la nature —, le succès se résumerait à notre capacité à trouver à manger et à boire, s’abriter, se reproduire, et avoir une vie de famille/groupe dans un environnement relativement stable. Très peu de connaissances seraient requises si ce n’est nos instincts primaires. Cela signifierait vraisemblablement des opportunités et chances de succès à peu près égales pour tous et donc une inégalité faible.
Dans notre société actuelle complexe, où de plus en plus de connaissances sont requises, l’apprentissage (l’éducation) est de fait un des facteurs déterminants de notre réussite, et les études se font donc de plus en plus longues. L’éducation ne se limite cependant pas à l’école mais à toute information et donc toute personne susceptible de nous apprendre quelque chose qui peut nous amener vers le dit « succès ». Le partage d’informations ne se limite malheureusement souvent qu’à des « bulles » sociales comprenant les personnes avec lesquelles nous vivons et partageons au quotidien. Dès lors qu’il y a un écart d’information entre différents groupes qui ne communiquent pas et ne se valorisent pas, les inégalités ne peuvent être comblées facilement.
De façon complémentaire, notre image du succès et nos actions correspondantes sont principalement déterminées par les personnes qui nous influencent — qui se retrouvent souvent parmi nos proches ainsi que parmi certaines personnalités connues –, tant par leurs comportements, les valeurs qu’elles véhiculent, que les informations qu’elles partagent.
La valeur d’une information est déterminée par sa source.
Cela signifie que nous accordons plus d’importance à une même information lorsqu’elle vient de quelqu’un que nous jugeons comme “crédible” que lorsqu’elle vient de quelqu’un d’autre (issu d’un autre groupe social). Cela impacte grandement le degré influence possible sur nos comportements, qui ne seront donc généralement motivés que par nos interactions quotidiennes avec ceux que l’on connaît le mieux, en qui l’on a le plus confiance.
Si nos influences et modèles adoptent certains comportements, nous serons plus à même de les reproduire et nous perpétrerons également cette influence sur nos proches. Ces comportements peuvent tant s’avérer être vertueux pour la société que néfastes. Si par exemple nos proches commencent à fumer, nous reproduirons fort probablement ce schéma de façon identique, bien qu’on soit partiellement conscient des effets néfastes sur notre santé (sans compter les effets sur l’environnement de par la production, les déchets, …). Si personne n’est présent pour nous expliquer correctement — dans la limite de nos perceptions — en quoi il est néfaste de fumer et que nous sommes uniquement entourés de personnes qui pratiquent cette activité, notre comportement aura peu de chances d’évoluer.
Le changement climatique comme source d’inégalité
Le changement climatique a lui aussi un impact sur les inégalités. Le simple fait de consommer plus d’une planète par personne par an, prive quelq’un, aujourd’hui ou demain, d’un certain bien-être, voir d’un certain droit à la vie. Cette surconsommation et pollution associée résultent en des externalités négatives directes pour les personnes les plus fragiles et affectées par le changement climatique (le Pakistan en ce moment en est le parfait exemple, ainsi que tous les agriculteurs partout dans le monde d’ailleurs), qui à leur tour nécessitent encore plus d’informations pour avoir une chance de comprendre comment s’adapter. Adopter des comportements liés à ce type de consommation et de “réussite” à l’échelle personnelle, influence d’autres à faire de même, ce qui génère des chances de réussite inégales pour tous car contribuent à l’accroissement de l’innovation et donc de la complexité systémique.
Si l’on prend donc en compte: une augmentation de l’information nécessaire pour “réussir”, une asymmétrie de l’information à disposition dans les groupes sociaux, et une influence directe des individus par ces mêmes groupes, les tendances actuelles d’innovation et de croissance portent donc directement préjudice à une partie croissante de la population dans leurs chances d’apprentissage et donc de “succès” et de bien-être. La complexification et donc par extension l’innovation de la société telle qu’elle est conçue aujourd’hui, n’est donc pas désirable, car en plus de détruire l’environnement dont on dépend, elle creuse les inégalités.
De quels moyens disposons-nous donc pour diminuer les inégalités?
En sachant que nos comportements sont influencés par nos connaissances ainsi que notre environnement, voici selon moi quelques pistes pour essayer d’y remédier:
- S’ouvrir aux autres bulles sociales et améliorer le transfert de l’information pour casser cet effet « bulle ». Pour cela il faut se conscientiser à l’effet de «diffusion de responsabilité» car il n’en incombe pas seulement au gouvernement de tout faire par l’ « amélioration de l’éducation », mais bien à nous tous, de nous responsabiliser en ayant conscience de l’influence que nous pouvons avoir à l’échelle locale et personnelle en fournissant des efforts de partage et d’ouverture aux autres, peu importe par quel biais. Ouvrir les bulles sociales est un levier fondamental pour le transfert de l’information et de la diminution des inégalités. Cela nous permettrait entre autres de réaliser que des accès aux ressources différents (et donc des réalités différentes) mènent à des choix différents. Ainsi s’intéresser à ces réalités permettrait de voir en quoi des décisions qui à priori nous paraissent irrationnelles peuvent en réalité être tout à fait justifiées.
- Adopter et promouvoir des comportements écologiques (entre autres) vertueux. Être soi-même un exemple en adoptant des pratiques vertueuses aide à favoriser l’adoption de ces comportements par d’autres. L’aspect écologique est ici tout particulièrement important car il permet d’une part d’éviter pire tant pour les plus fragiles que pour nous-mêmes sur le long-terme, et permet d’autre part d’aider à faciliter la transition écologique pour des bienfaits collectifs à court, moyen et long-terme.
- Diminuer la quantité d’informations nécessaires pour “réussir” et ainsi contribuer à la « décomplexification » de la société. Les innovations qui entretiennent la complexification de la société à défaut d’œuvrer pour sa simplification (ou la mise à niveau de nos pairs) nous rendent — souvent sans qu’on en ait conscience — complice des inégalités causées. Tant que les innovations et succès des uns ne contribueront qu’à la diminution des opportunités pour les autres et que nous-mêmes les entretiendrons en y investissant ou en les reproduisant, nous ne pourrons à aucun moment nous satisfaire de nos actions.
En ce sens, les innovations de demain ne doivent pas uniquement avoir trait à la « technologie » et ne doivent pas être des « licornes » pour aider notre société. Toute innovation ou comportement — peu importe le cadre — œuvrant pour une simplification de la société, une diminution de notre consommation et/ou une amélioration de notre environnement, résulte en une diminution des connaissances nécessaires pour vivre et donc en des chances plus équitables pour tous. En ce sens, dans un contexte de changement climatique et de perte de biodiversité avérés, tout comportement oeuvrant pour la préservation de notre environnement permet de répondre à cet objectif de diminution des inégalités.
Dans tous les cas, créer des emplois qui nuisent au vivant – de façon directe ou par le capital créé – et/ou qui nécessitent toujours plus de connaissances n’est pas bénéfique si nous n’avons pas la certitude que ceux-ci peuvent à long-terme œuvrer pour notre bien-être commun — ce qui semble par ailleurs très difficile à déterminer, au vu des deux derniers siècles d’ «évolution» .