La maison brûle : on s’y met ou pas?

Cet article a été relu en partie par Mélusine Boon-Falleur, doctorante à l’ENS en Sciences Cognitives et co-fondatrice de chilli.


Situation

Harold est jardinier, il adore passer du temps dans son jardin pour s’occuper de ses plantes, arbres et haies. Aujourd’hui la maison d’Harold a brulé, et Harold n’a rien fait pour la sauver. Il a pourtant senti l’odeur de la fumée, il était là dans son jardin en train de tailler les haies quand il a vu la fumée s’échapper de sa maison. Il était là quand les flammes ont englouti sa maison.

Et pourtant au moment où Harold s’est retourné vers sa maison et a vu la fumée… il n’a rien fait. Il s’est simplement retourné et a continué à tailler ses haies, comme d’habitude. Il aurait pourtant pu agir: il n’est pas aveugle, il n’a pas non plus perdu son odorat, et il a également un cerveau qui fonctionne bien!

Pourquoi dans ce cas Harold n’a-t-il pas agi?

Parce qu’Harold vit sur une planète sur laquelle il n’y a jamais eu de feu. Il vit dans un monde dans lequel personne n’a jamais vu de flammes ni la fumée, l’odeur et la chaleur qui l’accompagnent. Il ne sait donc pas qu’un feu brûle, il ne sait pas qu’un feu peut détruire une maison. Il l’a appris à ses dépends: il a laissé sa maison brûler jusqu’au moment où les flammes l’ont atteint, alors que son toit était déjà parti.

Mais dans quel genre de monde n’y a-t-il pas de feu? Tout le monde sait ce que ça fait! Dès qu’on sent cette odeur, qu’on voit cette fumée, on sait ce qu’il faut faire et on ne continue pas à tailler ses haies au risque de tout voir partir en fumée et de regretter notre inaction!

Mais dans quel genre de monde n’y a-t-il pas d’extinction de masse et de changement climatique? Tout le monde sait ce que ça fait! Dès qu’on en voit les premiers signaux – les insectes et le vivant qui disparaissent à une vitesse folle, les températures et les aléas qui augmentent -, on sait ce qu’il faut faire et on ne continue pas à travailler ou à partir en vacances, au risque de tout perdre et de regretter notre inaction!

Comme Harold qui voit la fumée devant lui mais ne l’interprète pas comme un risque, l’espèce humaine n’a jamais connu de changement climatique ni d’extinction de masse (en même temps qui plus est), nous ne savons pas encore l’impact que ça peut avoir dans nos quotidiens malgré les projections scientifiques, nous ne l’avons pas vécu. Est-il pourtant possible de faire bouger Harold et si oui, comment? Quels sont les mécanismes cognitifs liés qui nous empêchent d’agir, ainsi que ceux qui peuvent nous aider?


Les mécanismes cognitifs à l’oeuvre


Disponibilité


Comme cette histoire l’illustre, nous ne nous adaptons qu’à ce que nous connaissons et expérimentons, nous ne nous adaptons qu’aux souvenirs disponibles dans notre mémoire (lire également Kahneman, Système 1, Système 2).

A un moment dans votre vie vous avez compris malgré vous qu’un feu ou des plaques de cuisson brûlent. Depuis lors vous savez à quoi vous vous exposez si vous en rapprochez vos mains. Lorsqu’on apprend qu’on a un cancer ou qu’on tombe malade, on prend congé et on se soigne. Tout comme pour le SIDA par exemple, nous n’avons commencé à agir qu’à partir du moment où nous avons eu des malades et des morts, et beaucoup de gens ont réalisé qu’ils avaient inconsciemment condamné les personnes qu’ils aimaient le plus.

Mais si l’on ne sait pas qu’on a un cancer, et bien on continue à vivre, jusqu’à ce que des symptômes nous alertent. Par contre imaginons que comme Harold avec sa maison, on ne soit ni au courant des causes, ni des conséquences d’un cancer sur l’homme – ou alors qu’on nous ait alerté mais qu’on n’y ait pas vraiment cru/compris, parce que personne n’a jamais vécu cela. Que se passera-t-il dans ce cas?

A ce moment-là, comme pour les premières victimes du SIDA, on continuera à vivre sans se faire (trop) de soucis jusqu’à ce que des symptômes graves – correspondant à la phase terminale – nous empêchent d’agir, mais il sera trop tard, ce qui nous mènera à mourir pour quelque chose dont nous n’avions pas conscience et qui était pourtant parfaitement évitable.

Le manque de disponibilité signifie que nous n’avons pas encore été confronté aux conséquences de nos actions, nous n’avons pas encore pu apprendre de nos erreurs. En bref: pas de disponibilité, pas d’apprentissage. Pas d’apprentissage, pas d’adaptation. Pas d’adaptation… pas d’adaptation.

C’est d’ailleurs pour pallier ce manque de disponibilité que « Pour Jeanne » a été écrit (en plus de vous donner une magnifique raison d’agir), pour comprendre concrètement ce à quoi nous nous exposons à très court terme si nous n’agissons pas dès aujourd’hui.

Quelle disponibilité nécessitons-nous aujourd’hui?

Tant au niveau des problématiques que des solutions, il faut pouvoir alimenter cette disponibilité pour inciter à l’action efficacement.
L’atteinte de 7 limites planétaires sur 8, comprenant la perte de biodiversité et le changement climatique, signifient que l’effondrement des écosystèmes nécessaires à la vie pour l’homme risque d’arriver bien plus tôt que prévu. Plus concrètement pour chacun d’entre nous, notre espérance de vie restante vient d’être divisée par un facteur probablement très conséquent à un horizon très proche: nous sommes tous malades, à deux doigts de la phase terminale et comme pour un cancer, on peut se donner les meilleures chances de guérir, si on agit tout de suite.

Si c’est un cancer du poumon, comprendre que fumer en est la cause majeure et savoir comment arrêter s’il y a une dépendance forte est la première étape (arrêter les pesticides et les énergies fossiles pour nous par exemple). Ensuite, lancer la chimio ou tout autre traitement. Cela implique une compréhension et des actions tant au niveau individuel que collectif. Pour cela, il faut pouvoir donner une image claire de quels gestes individuels sont efficaces et comment influencer les collectifs, et vice-versa.

Changement climatique vs extinction de la biodiversité: une « cascade de disponibilité »?

La 6ème extinction de masse est en train de se passer en ce moment même, et à une vitesse folle. Les pesticides sont faits pour exterminer le vivant depuis sa base (et il est par exemple prouvé que ces derniers sont la cause majeure du déclin des oiseaux en Europe). Nous ne le voyons juste pas, notre normalité n’étant pas celle de nos aînés ainsi que celle de ceux avant eux (effet d’amnésie générationnelle). Cela nous empêche de nous rendre compte de la gravité de la situation, là où les aléas climatiques deviennent eux de plus en plus visibles.

Cette disparition du vivant constitue une menace tout aussi voire bien plus grande à l’heure actuelle que le changement climatique (et que tout ce que l’humain a connu de son vivant). Cela impacte directement nos chaines alimentaires tant pour la pollinisation (autrement pas de légumes ni de fruits) que pour les barrières contre les pathogènes, l’accès à l’eau potable, bref la bonne santé des écosystèmes dont nous dépendons directement.

En réalité, dans la maison d’Harold, c’est comme s’il y avait ET un feu au 1er étage, ET que les fondations de la maison étaient ultra fragilisées et à deux doigts de s’écrouler (entre autres problèmes si vous considérez toutes les limites planétaires). Deux problèmes d’une gravité similaire, seulement, l’un a profité d’une couverture médiatique plus importante, entrainant le public et ensuite le politique en cascade, à mieux couvrir le sujet, mieux comprendre les conséquences et ainsi menant la perception publique à identifier la crise climatique comme étant plus grave. C’est ce qu’on appelle une cascade de disponibilité :

« Une cascade de disponibilité est une suite d’événements qui font boule de neige. Elle peut être provoquée par la couverture médiatique d’un sujet relativement anodin et entraîne ultimement la panique du public et une intervention musclée de l’État. Dans certains cas, la couverture médiatique d’un risque captive un segment du public, qui devient alors agité et inquiet. Cette réaction émotionnelle devient ensuite un sujet en soi, qui sera à son tour abordé par les médias. Résultat, l’inquiétude ne fait que décupler et les esprits s’échauffent encore davantage.»

Kahneman, « Système 1, Système 2 »


Cela signifie que les conditions de vie soutenables pour l’humain sont menacées tant (voire plus) à cause du manque de biodiversité, que du changement climatique, comprenant des maladies inconnues, un manque d’eau potable et de nourriture. La biodiversité agit en effet comme un frein à de nombreux virus présents naturellement dans l’environnement : au plus on enlève ces freins (le vivant), au plus on favorise les chances qu’ils émergent et soient transmis à l’homme. Cependant, là où le changement climatique peut être arrêté (ce qui est tout à fait possible et souhaitable) mais ne peut pas être inversé, la perte de biodiversité elle peut encore l’être, il suffit pour cela de voir quels outils sont utiles aux niveaux individuel et collectif (décrits plus loin dans l’article).

La biodiversité a d’ailleurs également un impact immédiat sur la capacité de l’environnement à tempérer le changement climatique. En ce sens, la biodiversité est notre meilleure alliée (nous y compris si nous revoyons notre rôle dans ces écosystèmes):

Exemple : les oiseaux nous aident à amener les essences d’arbres et de plantes aux endroits propices à leur développement pour s’adapter au changement de climat. S’il n’y a pas assez d’insectes, il n’y a pas assez d’oiseaux (nous avons perdu 800 millions d’oiseaux en 40 ans à cause des pesticides et engrais), et cela aura (a déjà) un coût immédiat gigantesque, car nous dev(r)ons faire ce travail nous-mêmes (tout comme la pollinisation assurée par les insectes) pour s’assurer que des espèces qui s’adaptent à l’environnement puissent pousser (et vu que nous connaissons mieux les marques de vêtements que les espèces d’arbres, c’est mal parti).

Exemple : l’eau transpirée quotidiennement par un seul arbre a un effet de refroidissement équivalent à deux climatiseurs fonctionnant à fond.

Pour cela, la régénération naturelle des écosystèmes est le mécanisme le plus efficace pour restaurer le vivant, suivi par la « régénération naturelle assistée ». Comprenez ici que les forêts poussent généralement toutes seules et le font très bien, si on leur en donne les moyens! En effet, juste « planter » des arbres, c’est extrêmement énergivore et très peu efficace. Cela crée des « plantations » qui sont moins résilientes aux sécheresses et feux (cf. lien supra).

Quel impact cela a-t-il vis-à-vis de notre perception des solutions?

Une autre conséquence découlant de cette cascade de disponibilité liée au changement climatique se situe au niveau de l’énergie. En terme d’équivalence, la transition énergétique qui nous préoccupe tant correspond à la situation suivante: c’est comme si on pensait que pour arrêter l’incendie, il fallait absolument brancher le frigo d’Harold sur une source d’énergie alternative bas carbone, et qu’alors nous serions sauvés!

Non, nous aurions simplement enlevé quelques chalumeaux (et enlevé un peu de protection anti-feu des murs pour construire ces énergies bas carbone), mais le feu brulerait toujours, et les fondations de la maison seraient toujours à deux doigts de s’écrouler, nous n’aurions pas encore appelé les pompiers ni les ingénieurs du bâtiment. Oui, nous devons utiliser des énergies bas carbones, mais pour ce qui relève de nos besoins les plus élémentaires, pour éviter de déclencher d’autres incendies.

Par conséquent, le frigo nous devons d’abord le débrancher dans la mesure du possible (minimiser nos usages non-indispensables individuels et collectifs) et garder ces énergies bas carbones pour alimenter la lance incendie et les outils nécessaires, pour nous occuper du feu à l’étage et des fondations (au risque de se retrouver avec un frigo qui fonctionne mais qui est condamné à bruler). Notre perception, par manque de disponibilité, dicte des priorités irrationnelles: garder le frigo frais versus garder la maison entière (confort vs. vie).

Si l’on explique à Harold ce qui risque de se passer, si on lui donne cette « disponibilité », est-ce suffisant pour l’inciter à « débrancher le frigo » et sauver sa maison?

On comprend que la disponibilité est un levier très puissant pour inciter à agir correctement (débrancher le frigo dès que possible et appeler les pompiers). Imaginons que nous expliquions à Harold dans les détails comment sa maison va brûler, mais qu’ensuite nous lui expliquions qu’en réalité les solutions ne dépendent pas de lui (qu’il faut des pompiers et il ne sait pas ce que c’est), que se passera-t-il?

Et bien il comprendra qu’il y a urgence, mais il se dira également qu’il ne pourra rien y faire (il n’a jamais vu de feu, et il faut des solutions qu’il ne connait pas!). A partir du moment où il verra la fumée, il éprouvera de l’angoisse et de l’anxiété, car il pensera qu’il ne peut pas agir: « quoique je fasse je ne peux rien y changer ». Il s’agit là d’un cas d’impuissance acquise/apprise.

Tout comme nous face au changement climatique et la perte de biodiversité, une fois conscientisés, et à force de nous dire que la solution est « du ressort du politique et des entreprises », nous éprouvons à l’échelle individuelle – face à la puissance des gouvernements, des entreprises, des lobbies, des pays gigantesques comme la Chine -, une forme d’impuissance apprise: « mes actions ne changeront rien, c’est foutu ».

Comment éviter cette impuissance apprise?

Il est donc nécessaire d’expliquer à Harold concrètement ce qui va arriver car cela l’incitera à agir à la hauteur de la menace perçue, mais derrière, il est tout autant nécessaire de lui expliquer ce qu’il peut faire (comment éteindre un incendie) et en quoi ses actions peuvent être utiles: en bref, fournir un mode d’emploi avec des solutions qui s’appliquent à lui, et en quoi elles sont efficaces.

Savoir que l’on peut agir (et expliquer comment) permet d’inhiber l’anxiété liée à l’impuissance apprise. D’autant plus si l’on sait par exemple qu’on peut avoir le même effet en versant un unique verre d’eau à un endroit très précis (ce qui est à la portée de tout le monde), plutôt qu’en versant une citerne d’eau à un endroit quelconque (ce qui est plus difficile à matérialiser individuellement). On peut comme cela d’autant plus faire percevoir l’importance de chacune de nos actions – ce qui pour nous revient à inhiber cette fameuse éco-anxiété.

Dans l’article suivant, l’objectif sera de comprendre comment les sociétés changent et le rôle majeur des minorités – des individus qui les composent (vous qui lisez ceci) – dans ce changement, comprenant les conditions nécessaires pour optimiser les points de bascule sociaux.

De façon plus concrète, que risquons-nous réellement? Comment ces enjeux se traduisent-ils pour nous au quotidien?

Je vous invite à lire l’exemple ci-dessous et évaluer à quel point il vous paraît réaliste sur une échelle de 1 à 10 (10 étant le plus probable). Nous le réutiliserons par la suite pour voir comment notre « perception » peut évoluer en fonction des éléments de disponibilité supplémentaires donnés.

Exemple: « Nous sommes en 2030, les magasins sont trop souvent vides, les gens se ruent sur la nourriture et l’eau, mais il n’y en a pas assez pour tout le monde… Nous ne comptons plus le nombre de fois où l’eau du robinet ne coule plus. L’hyperinflation a eu raison de nos épargnes accumulées sur tant d’années. Il n’y a pas assez de gens qui savent cultiver, les champs autour de chez nous sont devenus des déserts et sont de toute façon remplis de poison, que ça soit des PFAS ou des pesticides… Seules les fermes en agroécologie arrivent encore à produire de la nourriture de façon à peu près stable, et encore, ils ont besoin de tout le monde pour faire face aux aléas toujours plus fréquents…

Gardez votre chiffre en tête et passons aux exponentielles!

L’humain et les exponentielles: à quel point est-ce dangereux?

Pour améliorer la perception (la disponibilité) d’Harold, il est également utile de comprendre à quel point une évolution exponentielle est dangereuse et difficilement compréhensible pour l’homme, avec cette petite vidéo (regarder la première minute suffira).



Pour un incendie par exemple, combien de temps faut-il avant qu’il soit hors de contrôle? Comment va-t-il évoluer? Comment les efforts nécessaires pour le maîtriser vont-ils évoluer dans le temps? Regardez le graphique ainsi que les explications ci-dessous (issus de ce site), et voyez à quel point la température et les efforts nécessaires vont augmenter extrêmement rapidement:

« On estime que pour éteindre un feu sec naissant, il faut un verre d’eau durant la première minute,  un seau d’eau au cours de la deuxième minute, une citerne d’eau au bout de la troisième minute. Dans le cas d’un feu clos (par exemple un feu d’habitation), on estime que la température de l’air atteint 600 °C au bout de cinq minutes ; Dans une cage d’escalier, elle peut atteindre 1 200 °C dans le même temps. Dans ces conditions, nous pouvons rapidement atteindre un embrasement généralisé. »


On voit ici très clairement que le coût de l’inaction évolue de façon exponentielle. Le problème c’est que dans notre situation, ce coût exponentiel sera pour nous – nous serons condamnés à nous battre pour survivre si rien ne change, alors que beaucoup de choses sont encore évitables!

La question en devient: à quel point cela est-il applicable à nous là où la destruction de notre monde est exponentielle et le cas échéant, où nous situons-nous sur celle-ci? Mais aussi et surtout, cela démontre que le délai avec lequel nous agissons à une influence exponentielle: si on attend l’année prochaine pour vraiment agir, peut-être que mon espérance de vie sera de 45 ans (la citerne d’eau)? Si on agit dès maintenant, peut-être que je pourrai vivre jusqu’à 70 ans? Les exponentielles impliquent une variabilité qui explose dans les probabilités, ce qui rend les projections plus difficiles.

Repensez donc maintenant au chiffre que vous avez en tête par rapport à l’exemple ci-dessus. Vous paraît-il toujours adapté?

A quel moment les choses pourraient-elles s’accélérer trop rapidement pour l’humain et nos sociétés? Serons-nous condamnés à nous battre quotidiennement devant les épiceries et fermes à 6h du matin d’ici quelques années pour quelques légumes et lentilles que l’on espèrera voir arriver avec impatience? Le sport ne sera-t-il qu’un lointain souvenir là où chaque effort et aliment sera compté? Nous avons encore le choix (je l’espère), selon nos actions, entre le fait que ce genre de scénarios soient notre quotidien, ou ne se passent qu’une à deux fois par mois par exemple (peut-être). Moi qui suis avide de sports, s’il y a une chance que je puisse matérialiser un monde dans lequel je peux encore en pratiquer de temps à autre, je ferai tout pour.

Que ça soit 2030, 2035 ou 2040 (ou plus tôt), ce genre de scénarios de l’exemple ci-dessus nous pend au nez. L’illusion de normalité dans laquelle Harold est resté est celle à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui. C’est pour cela qu’il faut réfléchir de façon critique à nos besoins élémentaires, comment y subvenir collectivement, ainsi que comment atténuer efficacement notre impact pour éviter de matérialiser des conditions de vie trop complexes. Par exemple, l’avantage du changement de système alimentaire vers l’agroécologie est qu’il permet tant d’atténuer la perte de biodiversité que le changement climatique (en favorisant entre autres la capture de carbone et d’eau dans les sols grâce à des écosystèmes résilients, qui permet de diminuer les risques d’inondation, etc…).

A titre indicatif, 3% des français sont agriculteurs (et la majeure partie dans un modèle conventionnel), ce qui signifie que dans le reste de la population, personne ne sait se nourrir soi-même. Nous dépendons tous du modèle agro-industriel aujourd’hui, qui est pourtant voué à l’échec et une cause majeure de la sixième extinction de masse (de nouveau, je n’aurais probablement pas fait mieux que les personnes à la tête des différentes entreprises inscrites dans ce système, c’est un modèle qu’il faut changer, et pour cela il faut accompagner tous ses acteurs dans le changement). Les solutions sont là, les freins au changement eux, sont majoritairement situés au niveau de notre cognition. 🙂

Vous l’aurez compris, il est dangereux d’agir de façon linéaire en réduisant nos émissions de 5 ou 6% par an, là où les impacts augmentent de façon exponentielle. Au plus et au plus tôt nous agirons, au mieux nous nous porterons. Pour arriver à cette action collective, améliorer la disponibilité est un élément clé: l’humain prend généralement de bonnes décisions à condition qu’il ait la bonne information à sa disposition (i.e. une information pertinente ET qu’il juge crédible).

Peut-on tout de même garder un peu espoir?!

HEUREUSEMENT, dites-vous bien également que les normes sociales – qui ont un impact sur nos comportements et nos croyances -, ainsi que le vivant, ont également le potentiel d’évoluer de façon exponentielle et donc de changer rapidement. Des changements drastiques peuvent en effet prendre place très rapidement, mais uniquement si nous respectons les conditions nécessaires, entre autres décrites dans « les erreurs à ne pas commettre » ainsi que dans cet article.

Pour justement éviter l’impuissance apprise, ces articles sont faits pour montrer comment faire changer des groupes, des sociétés, quelles actions y mènent, et où « lancer le verre d’eau plutôt que la citerne » pour y arriver : que vous soyez citoyen, politicien, employé, activiste,… (et donc en quoi chaque individu est important).

Par exemple, en optimisant l’utilisation de ces mécanismes, à quelle vitesse est-il possible de se séparer des pesticides et de « débrancher le frigo » dans la mesure du possible? Nous verrons en seconde partie comment agir nous-mêmes et faire agir Harold au mieux, en ayant conscience de ces mécanismes.

On ne peut dans tous les cas pas vraiment en vouloir à qui que ce soit pour notre inaction car nous sommes tous soumis à ce biais de disponibilité (entre autres facteurs identifiés ci-après et dans la suite des articles). Il y a pour ces raisons encore aujourd’hui des personnes qui développent pour Harold des tailles-haies automatisés remplis de capteurs, des frigos connectés pour sa cuisine,… Dans un système destiné à changer, il faut fournir des portes de sortie à toutes ces personnes, en sachant qu’on aurait pu être à leur place (si on ne l’est pas déjà). Par exemple, si j’avais moi-même été exposé à d’autres normes, si j’étais né quelques années plut tôt, si je n’avais pas vu l’un ou l’autre documentaire sur l’environnement étant plus jeune, j’aurais tout à fait pu être l’une de ces personnes.

N.B.: je ne cherche ici ni à blâmer, ni à légitimer, ni à excuser les actions de qui que ce soit. Je ne cherche pas non plus à faire culpabiliser. Dans un système extrêmement complexe, identifier des causes simples (i.e. des coupables) est au mieux fallacieux. Se plonger dans des recherches de causalité futiles qui dépassent nos capacités de raisonnement n’est pas utile. Ce n’est pas « juste » Bayer-Monsanto, ce n’est pas « juste » l’agro-industrie, ce ne sont pas « juste » les consommateurs, ni « juste » les politiques. Tout ceci n’est que la suite logique d’un modèle de société complexe, dans lequel nous avons majoritairement « hérité nos situations » qui elles-mêmes influencent nos croyances, comportements et métiers – qu’ils soient vertueux ou néfastes pour notre planète.

Mener une bataille entre nous au lieu d’agir face à l’urgence cela revient à perdre du temps que nous n’avons pas. Nous sommes dans une situation qui requiert aujourd’hui l’action de tout le monde. Ce qui est utile et qui fonctionne, c’est d’identifier les mécanismes pertinents à l’inaction, déterminer les leviers liés, et ainsi promouvoir une transition unifiée. Il s’agit de récompenser les changements et comportements vertueux de chacun, et de ne laisser personne derrière dans un monde qui change.


Ancrage


L’ancrage est un mécanisme auquel nous sommes soumis quotidiennement: de simples chiffres affectent notre prise de décision de façon significative. Cet exemple tiré du livre Système 1, Système 2 de Kahneman (et de ses travaux) devrait vous le faire comprendre facilement:

Gandhi avait-il plus ou moins de 114 ans au moment de sa mort? Estimez l’âge de sa mort et gardez ce chiffre en tête.

Maintenant, si la même question avait été posée mais en évoquant son décès à 35, quel âge auriez-vous obtenu? Vous auriez fort probablement pensé à un âge significativement plus bas: nous sommes ancrés par les chiffres donnés. (ici l’âge auquel Gandhi est décédé)

Avons-nous le temps de sauver la maison d’Harold? La biodiversité? Le climat?

Les plans majeurs de transition, que ça soit pour les gouvernements, les entreprises ou encore les institutions internationales, sont magnifiquement alignés aux horizons 2025, 2030, 2050, et avec des degrés de réchauffement précis (1,5°c, 2°c,…). Des beaux chiffres un peu ronds, mais qui représentent en réalité des centaines de millions voire des milliards de morts (de quoi faire passer Hitler pour un enfant de coeur en gros). Nous créons donc et ancrons notre transition sur ces objectifs temporels et physiques précis. C’est assez intéressant de voir que les catastrophes s’alignent sur notre calendrier et attendront que l’on change avant de venir frapper à notre porte (et évolueront de façon linéaire et non exponentielle…).

Nous ne nous demandons en effet pas une seule seconde si ces délais-là sont réalistes au vu des besoins du vivant et des catastrophes qui arrivent. Les scientifiques en tout cas n’ont pas trop l’air de cet avis-là, mais les politiques établies bien. Ces délais nous font miroiter une transition faisable si nous atteignons les objectifs dans les temps impartis, mais pire, nous ralentissent également dans notre mise en action en nous faisant penser que nous avons du temps (procrastination quand tu nous tiens).

Ils ne sont probablement pas ancrés sur ce qui est réellement nécessaire (vu que nous sommes de toute façon déjà extrêmement en retard au vu des publications scientifiques quotidiennes amenant leur lot de mauvaises nouvelles supplémentaires).

Et de nouveau, on peut commencer à pointer du doigt mais ce n’est pas utile dans un système aussi complexe: nous trouvons des solutions et des causes simples à des problèmes qui ne le sont pas. Imaginez une seconde que Macron ait décidé il y a 5 ans (ou décide aujourd’hui) de mettre en place des politiques écologiques efficaces comme par exemple interdire les vols en avion (j’invente), quelles conséquences cela aurait-il eu? Probablement pas celles recherchées, et même l’effet inverse: c’est ce qu’on appelle l’effet Cobra.

Et Harold? Quels sont les ancrages auxquels il est soumis?

De façon équivalente, c’est comme si Harold, au moment où il comprend que sa maison est en train de partir, regardait l’heure et se disait: « mmmh il est 13h22, je compte avoir éteint ce feu pour 14h. Je vais donc planifier les efforts pour l’éteindre en fonction de délai-là, et peut-être bien me faire une petite pause avant pour commencer à 13h30 ». Mais nous devons contrôler le feu avant d’atteindre le point de non-retour.

Que se passe-t-il s’il reste soumis à ces ancrages?

Si Harold ne sait pas qu’à la première minute il faut juste un verre d’eau et à la 3e une citerne, ce sera en effet la réaction attendue! Nous humains avons beaucoup de mal à nous représenter l’exponentialité d’une évolution comme décrit précédemment, sauf si nous l’avons vécue – de façon similaire à un incendie. La pause d’Harold durant laquelle il aurait suffit de lancer un verre d’eau, nécessite désormais une citerne. Chaque minute d’inaction représente pour nous une quantité de plus en plus colossale de morts étalée dans le temps et des conditions de vie qui se dégradent de façon non-linéaire et donc des efforts autrement plus conséquents.

Lorsque le feu se déclenche, la cuisine d’Harold peut ainsi encore être en parfait état avec le frigo rempli mais l’état de non-retour peut lui déjà avoir été dépassé – comme nous lorsque nous nous rendons au supermarché et que les étagères sont remplies. La nature peut encore être verte, mais si le reste du vivant et des insectes ont atteint ce point de non-retour, il en sera fini de nous. Le premier domino sera tombé, le reste ne fera que suivre sans possibilité de s’arrêter, en accélérant. La question sera simplement « en combien de temps? » et « comment? ». Nous sommes aujourd’hui, maintenant, à ce tournant de l’humanité et du vivant sur la planète et je le répète, nous pouvons agir, que ça soit pour nous ou le reste du vivant.

Nous nous sommes mis en alerte maximale pour le COVID, mais qui n’était qu’un échauffement minuscule à l’image de ce qui peut et va probablement nous arriver: une piqure de moustique a capté toute notre attention alors qu’un bus est en train d’accélérer de façon exponentielle pour nous rentrer dedans.

Pour en revenir à cet ancrage – qui est lui-même du à ce manque de disponibilité et de compréhension -, il nous donne l’illusion que nous avons le temps, et l’illusion qu’il n’y a pas déjà d’effets de rétroaction exponentielle avec ce qui est déjà présent. Quand une maison brûle et qu’il y a des personnes victimes d’illusions qui jouent avec des chalumeaux dedans, on ne met pas de « deadline » – encore moins quand il y a des morts en jeu (nos proches qui plus est).

Un feu ne se répand pas de façon linéaire, notre impact sur le vivant et l’atmosphère non plus. Attendre 8 minutes avant de commencer ce n’est pas condamner un meuble, mais peut-être l’étage ou la maison entière – des écosystèmes, des espèces, des amis, de la famille, nous-même.

Cela démontre une fois de plus l’incompréhension profonde de la situation dans laquelle nous nous trouvons. Il faut bien évidemment avoir des objectifs et les atteindre, mais la manière avec laquelle nous le faisons actuellement via ces ancrages temporels et quantitatifs est très dangereuse car n’incite dans le cas présent pas à l’action nécessaire.

Ce passage décrit dans « Système 1, Système 2 » illustre bien le risque que nous prenons avec cette méthode de planification: « Comme l’a dit un responsable à Bent Flyvbjerg, professeur à l’université d’Oxford, « Pour les fournisseurs, une réserve budgétaire, c’est comme de la viande pour les lions, ils vont la dévorer. » Cette réserve budgétaire équivaut à nos « réserves temporelles », qui sont appliquées à des situations qui ne correspondent pas à leur utilisation – entre autres parce que nous sommes dans une situation évoluant de façon exponentielle.


Optimisme, plausibilité et probabilité


L’humain est une espèce fondamentalement optimiste: comme quand on snooze le réveil le matin en se disant « si je vais vite je serai à l’heure ». On se construit un récit où nous arrivons à l’heure. Plausible oui, mais probable? (En tout cas pas pour moi au vu de mon expérience personnelle avec la ponctualité…) Cette construction positive nous empêche de voir ce qui pourrait mal se passer et qui nous fera échouer.

Comme le dit Bent Flyvbjerg (lire Kahneman, Système 1, Système 2), nous n’avons pas conscience de la distribution des probabilités: il y a peut-être autant de chances d’arriver 30 minutes en retard que d’arriver 2 minutes en avance en se levant à l’heure du réveil. Nous n’avons pas non plus conscience de notre ignorance et des évènements jusque là invisibles qui risquent de nous empêcher d’être à l’heure ce jour-là.

Voyons donc quelle serait une distribution réaliste pour notre ami Harold et sa maison:

Il n’a pas conscience qu’un feu est en train de se propager, il n’est pas pompier et il n’y en a pas dans son monde sans feu. On peut correctement assumer que dans ce cas-là, sauf miracle, il y a 100% de chances que sa maison brûle entièrement. Pourtant, en voyant la fumée Harold est encore persuadé qu’il y a 0% de chances que sa maison brûle.

Rajoutons maintenant quelques lanceurs d’alerte efficaces pour faire comprendre à Harold ce qu’il se passe, quelques pompiers qualifiés et quelques personnes qui peuvent guider Harold dans les actions à entreprendre. Le temps nécessaire à la compréhension, la mise en action et l’activation de ces procédés combiné au manque d’expérience signifie qu’une partie de la maison va de toute façon brûler, mais les probabilités s’améliorent!

On peut imaginer ceci: 70% de chances que la maison brûle entièrement, 30% que ça soit uniquement le toit et le premier étage. Cela signifie que si l’on répète cette situation 10 fois, Harold perd sa maison 7 fois. Malheureusement nous n’avons pas le luxe de répéter l’expérience, nous n’avons qu’une seule chance. L’objectif est donc pour nous maintenant de tout faire pour grappiller des pourcentages, pour se donner les meilleures chances de sauver la maison. Quoiqu’il arrive, nous aurons dans ce cas tout fait pour y arriver, et nous pourrons être fiers de nous.

Qu’est-ce qui nous empêche de voir les choses de la bonne façon? Quelles probabilités néglige-t-on?

Le premier problème est évidemment que nous sous-estimons la probabilité d’évènements qui ne se sont jamais produits, par rapport aux chances effectives (qui sont en réalité élevées). De façon équivalente, tout comme pour Harold, la chance que sa maison reste intacte (que nous conservions notre qualité de vie et le système actuel intact) est de 0. Vu que nous ne savons entre autres pas exactement à quoi nous attendre et que changer est un coût (pour ceux qui le peuvent), nous attendons.

Ensuite, nous avons nous-mêmes nos échéances et nos priorités, que ce soit pour notre travail ou nos plans personnels: un diplôme à obtenir, un nouveau métier, un appartement récemment acheté, un mariage à prévoir, des enfants à inscrire à l’école pour dans quelques années,… Bref, ces éléments futurs-là, nous font miroiter la possibilité d’un monde stable (comme celui d’Harold), ils nous montrent une réalité si plausible qu’elle nous paraît probable, nous amenant à surestimer les probabilités positives, ainsi qu’à négliger tous les aspects négatifs, nous maintenant dans une apathie mortelle. En bref, nous ne sommes pas des êtres statistiques capables d’agir en fonction de probabilités données, mais bien des êtres irrationnels soumis à notre perception des probabilités, qui elle est biaisée.

Tout comme nous sous-estimons la capacité du système et donc de l’argent de s’effondrer. En effet, nous vivons dans un monde dicté par l’argent, qui a été jusqu’à maintenant un indicateur et une garantie de succès et de sécurité (comprenant le statut social) dans notre société. Notre argent ne représente pourtant que la valeur des biens et services qu’on peut obtenir dans la maison – d’ailleurs largement sous-estimée vu que nous ne comprenons visiblement pas les services que le vivant nous rend. L’argent est par essence quelque chose d’extrêmement volatile, tout comme le système dans lequel nous vivons, qui dépend d’une maison que nous brûlons. Devrons-nous payer une carotte 1000€ dans 10 ans? Que vaudra l’immobilier quand nos principales préoccupations seront de manger et boire? Que vaut aujourd’hui réellement l’immobilier à Barcelone par exemple en tenant compte de la situation hydrique catastrophique?

Accumuler de l’argent dans la maison (au-delà de ce qui est nécessaire pour vivre) au lieu de s’occuper du feu n’a donc pas de réelle utilité à partir du moment où il est condamné à brûler avec elle si nous n’agissons pas. (repensez à l’exemple mentionné plus haut)

Nous savons également que via les boucles de rétroaction positives comme celle du capital industriel (cf. « Les limites à la croissance », Meadows), cet argent sert à alimenter la production de chalumeaux et de cocktails Molotov qui brûlent la maison d’autant plus vite. Vouloir se protéger soi-même avec de l’argent (ce qui a toujours fonctionné et nous donne donc l’impression que ce sera toujours le cas) a donc comme conséquence de littéralement financer une destruction plus rapide de la maison. Il faut donc revoir notre prisme sur les outils efficaces pour vivre dans un monde qui change, tant au niveau individuel que collectif, en tenant compte des probabilités effectives.

Quelle est la réaction rationnelle à avoir en tenant compte de la distribution des probabilités?

Aujourd’hui, Harold ne le réalise pas encore mais lorsque sa maison commence à brûler, il a un choix très simple à faire (qui vous parait évident mais pas pour lui): tailler sa haie ou sauver sa maison, en sachant que s’il ne sauve pas sa maison, il n’y aura plus de haie tout court. Vous auriez sprinté vers la maison sans aucune hésitation. Cependant Harold n’a pas les compétences, ni les connaissances requises.

Nous sommes confrontés au même choix qu’Harold si nous ne sommes pas déjà « pompiers » (restaurateurs/protecteurs du vivant) et que nous ne sommes pas dans une situation trop précaire que pour pouvoir agir: soit continuer à vivre sans atténuer la destruction ni nous adapter, soit changer et aider pour sauver l’espèce humaine et le reste du vivant. Chaque humain est concerné par ce feu: nous sommes dans la maison, nous ne pouvons pas en sortir, et nous serons (sommes) tous touchés (attention à l’effet de supériorité à la moyenne – voir article précédent).

Il est aujourd’hui très probable que nombre de nos compétences techniques (nécessaires dans notre système actuel) soient rendues rapidement obsolètes, là où des compétences basiques et pourtant vitales – comme « comment se nourrir et s’abreuver » de façon soutenable et stable au quotidien (en tenant compte des aléas déjà présents) – nous sont complètement inconnues. Là où notre perception nous dicte de continuer à se former « comme avant », la distribution des probabilités quant à l’utilité de cette décision ne va pas dans ce sens-là.

Nous devrons, comme Harold, tous suivre une formation express utile pour savoir comment éteindre efficacement ce feu, ainsi que comprendre comment vivre ensemble dans une maison a moitié brulée (si on arrive à le stabiliser) et comment reconstruire.


Avons-nous l’expérience nécessaire pour sauver la maison d’Harold?


Qu’aurait du faire Harold? Son intuition peut-elle l’aider?

Au moment où le feu se déclare et qu’il voit la fumée, chaque instant est compté. S’il sait qu’un feu brûle, il doit par conséquent réfléchir rapidement et instinctivement à la fois: déposer son taille-haies, courir vers la maison, détecter le foyer, appeler les pompiers (ou l’équivalent dans son monde sans feu), établir s’il peut agir et comment, tout ça en moins de 30 secondes.

Mais vu qu’il n’a jamais été confronté à un feu il ne sait pas quel danger il court, quel effort il doit fournir, ni quelles solutions peuvent l’aider ou à l’inverse, empirer la situation (comme lancer de l’eau sur les flammes, instinctivement ça paraît pas mal)…

Tant pour savoir comment éteindre cet incendie que pour savoir comment faire bouger Harold efficacement, si nous n’avons pas l’expérience requise, notre intuition va de fait nous dicter des pistes qui ne seront probablement pas efficaces: d’une part, lancer de l’eau sur les flammes, d’autre part se mettre entre Harold et la haie, ou lui enlever le taille-haie des mains, ou le menacer implicitement de représailles s’il ne descend pas (rapport de forces). Ça va emmerder Harold, nous mettre en opposition, mais pas le faire comprendre, et donc pas le faire bouger, en tout cas pas assez car il ne comprendra toujours pas.

En effet, l’intuition ne fonctionne qu’à certaines conditions (identifiées par Kahneman et Klein):

dans un scénario qui se reproduit souvent, de façon similaire à chaque fois, et où le feedback est immédiat. Il faut donc que ce soit un environnement suffisamment régulier que pour être prévisible, ET qui nous donne la possibilité de pratiquer et d’apprendre. Ce sont les conditions nécessaires pour que l’intuition puisse être utile.

Des professions qui y correspondent sont par exemple: des pompiers (dans notre monde), des chirurgiens, des infirmiers et infirmières, des joueurs (joueuses) d’échec,… Car oui, nous apprenons de nos erreurs, mais uniquement quand on sait qu’on les a commises, quand on a été confronté aux conséquences de nos actions.

La situation d’Harold n’y correspond pas – il n’a jamais fait face à un feu -, et la nôtre non plus: d’une part parce que l’espèce humaine n’a jamais connu les conséquences dévastatrices d’un dérèglement climatique et d’une extinction massive de la biodiversité – de façon simultanée qui plus est. D’autre part parce que nous n’avons probablement jamais réussi à changer de système aussi rapidement et à convaincre la planète entière de s’aligner sur des stratégies de changement drastique communes – les crises se soldant généralement par des conflits.

Nos réactions intuitives dans les deux cas ont donc de grandes chances d’être inadaptées et inefficaces. Nous sommes dans une voiture lancée à du 300km/h, qui accélère, avec un mur devant, mais nous n’avons jamais utilisé un frein de notre vie: avez-vous déjà essayé dans une voiture de freiner avec votre pied gauche (celui que vous n’utilisez en principe pas sur le frein)? Avez-vous été surpris par la force à laquelle ça freine alors que vous appuyez à peine? Et si vous ne savez même pas se trouve le frein? Autant arrêter d’appuyer sur l’accélérateur est faisable, autant freiner devient compliqué si l’on ne l’a jamais fait, et surtout s’il faut encore construire ce frein (au niveau économique cela équivaut à la décroissance).

Quelle serait notre réaction intuitive face à Harold dans le jardin? En quoi est-ce inadapté?

Imaginez-vous un instant dans son jardin au moment ou la fumée arrive: si vous aviez gueulé sur Harold lorsque la fumée eût apparu pour le faire agir, vous n’auriez eu aucune réaction de la part d’Harold, juste un « il est fou celui-là, qu’est-ce qu’il me veut? ». (Ce phénomène est d’autant plus renforcé si vous êtes face à un groupe, face à une norme en place – voir les erreurs à ne pas commettre – et que vous êtes en opposition marquée.)

Vous le savez désormais, le décalage en disponibilité, tant au niveau des conséquences de nos actions ainsi que dans les solutions nécessaires – dans les croyances -, génère une opposition nette.

Même si vous le forcez à agir, cela poussera à l’opposition, et vous finirez par vous battre avec lui (écolos et Soulèvements de la Terre vs gouvernement français par exemple) jusqu’à ce que les flammes vous brulent tous les deux. Cela ne poussera pas à une réaction efficace.

Quels sont les problèmes liés?

Sans rentrer dans l’aspect des croyances (développé dans les autres articles), il y a dans notre cas deux problématiques majeures liées: le manque de disponibilité identifié plus tôt et la temporalité.

Si vous voyez quelqu’un qui va se faire écraser par un bus et que vous sautez pour vous projeter tous les deux sur le bord de la route, la personne qui ne savait pas qu’elle allait se faire écraser (par manque de disponibilité), verra tout d’abord votre visage juste après le choc et se dira « mais quel c** celui-là, t’as pas mieux à faire!! ». Cette réaction sera maintenue tant qu’elle n’aura pas vu le bus passer à toute vitesse juste à côté d’elle, et comprendra qu’elle a été sauvée.

Si le bus est invisible pour cette dernière, et que vous répétez ce sauvetage à maintes reprises, elle maintiendra cette réaction et vous mettra en prison (soulèvements de la Terre et activistes militants), sans valoriser votre action (ni ce que vous pensez), jusqu’à ce qu’elle se fasse écraser par le bus invisible.

Pour en revenir au cas d’Harold, l’opposition en devient encore plus flagrante si par exemple Harold était en train d’appuyer sur un bouton qui lance des incendies dans sa propre maison. N’étant pas confronté aux conséquences de ses actions immédiatement, il ne comprendrait pas qu’il est à l’origine de ses problèmes, il ne peut pas apprendre de ses erreurs! Pourtant, vous vous jetteriez sur lui pour l’en empêcher (d’autant plus si vous vivez également dans cette maison et que vous pensez qu’Harold sait ce qu’un feu signifie).

Un conflit néfaste et pourtant évitable s’amorcerait sans aucun doute.


Au niveau des politiques publiques et des gouvernements, comment ce manque d’expérience – combiné aux effets décrits précédemment – se traduit-il?

Par manque de disponibilité et d’expérience face à ces menaces, notre intuition ne peut pas nous aider, et n’importe quelle personne ou gouvernement qui établit un plan de transition ou essaie de générer des changements drastiques de notre société – alors que nous n’avons probablement jamais opéré de changement de système aussi rapide et sans violence – ne peut qu’au mieux jouer les apprentis-sorciers: d’où l’importance entre autres d’écouter les scientifiques qui par leurs prédictions peuvent au mieux nous préparer, et de ne pas se fier à notre intuition là où elle ne s’applique pas.

Mais aussi et surtout, de tenir compte des aspects cognitifs dans la stratégie (si l’on arrive déjà à passer outre le problème de disponibilité) car nous allons commettre des erreurs: ne pas se demander pourquoi des politiques fonctionneraient, mais pourquoi elles ne fonctionneraient pas, de façon à minimiser le biais d’optimisme et éviter de faire pire (effet Cobra). C’est là le premier objectif, éviter de faire pire (par exemple, avoir Marine Le Pen au pouvoir serait probablement pire).

La validité des plans de transition annoncés sont équivalents à la situation suivante. Ce serait comme si ce matin, on vous annonçait qu’il fallait construire une reproduction de la Burj Khalifa à Paris, que vous en êtes l’architecte principal, que vous avez déjà signé les papiers et qu’elle doit être construite pour dans 8 mois. Le vrai problème est qu’à ce stade-ci, vous êtes persuadé d’y arriver alors que vous n’avez jamais vu de plans d’architecte de votre vie et qu’en plus de ça vous devez le faire avec des ouvriers novices.

Est-il possible d’y arriver avec succès? Les gouvernements ont l’air d’en être convaincus (par biais d’optimisme, biais du planificateur et manque de choix en réalité). Nous n’avons pourtant pas été confrontés à la multitude d’erreurs qui ont servi d’expérience utile pour apprendre et s’améliorer (nous ignorons notre ignorance).

Que se passe-t-il du coup pour nous en ce moment?

En effet, nous ne changeons pas, probablement comme Harold lors de sa 1ère tentative de gestion d’incendie, l’inertie du système est trop forte. Malheureusement, face à l’urgence, nous perdons patience et notre système intuitif se met automatiquement en route, ce qui inhibe la rationalité – dont nous avons besoin aujourd’hui plus que jamais – et ralentit aussi la transition.

Cela nous mène en effet à réprimander, interdire, ou obliger des gens à certains comportements qui ne comprennent pas suffisamment pourquoi – et qui pourtant ont les moyens de facilement s’opposer à nous, ce qui n’est pas efficace non plus. Lorsqu’il y a ce manque de disponibilité (entre autres), ces méthodes rentrent directement en conflit avec nos modes de fonctionnement innés comme le besoin d’équité, de liberté, de statut social et entrainent le phénomène de réactance (détaillé dans cet article).

Imaginons qu’on réussisse à changer, mais que ça aille trop vite? (peu probable vous me direz, mais à nouveau, ne négligeons pas les exponentielles)

Lâcher un monde en inertie en un coup, cela reviendrait à l’équivalence suivante dans le monde d’Harold:

Imaginez des gens portant une plateforme lourde pour qu’Harold puisse tailler sa haie. Si trop de gens la lâchent en un coup, Harold tombera, et des personnes en-dessous se retrouveront écrasées (les personnes les plus précaires dans notre monde). Nous devons nous coordonner: ceux qui ont les plus gros muscles (le plus d’argent) peuvent porter cette plateforme et la descendre progressivement pendant que les autres agissent déjà, pour qu’Harold puisse ensuite également s’y mettre. L’article dans cette série « comment embarquer tout le monde » décrit plus précisément les conditions pour matérialiser cela.

De nombreux autres mécanismes cognitifs sont également à l’oeuvre et sont tout aussi importants et intéressants que les deux mentionnés, détaillés dans les autres articles (n’ignorez pas votre ignorance et jetez-y un oeil par après 🤓 ).


Comment faire du coup?


Comment pouvons-nous mettre Harold en mouvement de la façon la plus efficace possible? En sachant que nous n’avons pas le droit à l’erreur, lesquelles doit-on éviter? Par conséquent, comment pouvons-nous pallier notre manque d’expérience de façon à agir comme si nous avions répété la situation 100 fois et que nous avions désormais identifié la technique la plus efficace et requérant le moins d’effort et de personnes!

Faire bouger implique que nous devrons nous aussi toutes et tous bouger (si ce n’est pas déjà le cas), tant pour atténuer notre impact et nous adapter que pour inciter à agir efficacement! Cela inclut notre rapport au vivant, notre stratégie individuelle pour changer et s’adapter, ainsi que comment sauver la biodiversité et le climat, le tout en fournissant les efforts minimums! (i.e. combattre le feu en étant super efficace et sans prendre de risques)

Commençons par voir comment faire bouger Harold efficacement:


Comment convaincre Harold?


Reprenons la situation dans laquelle Harold appuie en continu sur des boutons qui créent des incendies dans sa maison:

Il faut en même temps être capable de l’empêcher d’appuyer dessus ET pouvoir lui expliquer pourquoi (créer une disponibilité) pour qu’il arrête ça de lui-même, car il ne sera pas confronté à temps aux conséquences de ses actions.

Des lois seront-elles efficaces s’il ne comprend pas ce qu’elles cherchent à empêcher et que personne autour de lui ne les applique vraiment?

Qui Harold va-t-il écouter? Et dans quelles conditions va-t-il écouter?

La perception qu’aura Harold de la personne en face et de ses intentions changera de beaucoup sa volonté à écouter et donc la capacité de la personne à correctement lui donner cette disponibilité – tant pour les conséquences de ses actions que pour les solutions. La règle est simple: « la valeur d’une information est déterminée par sa source». Si Harold valorise la personne en face, elle se donne les meilleures chances qu’Harold écoute. S’il la déteste, il ne valorisera à aucun moment ce qu’elle aura à lui dire.

Par conséquent, si l’on matérialise les conditions pour qu’il nous déteste, la création de disponibilité sera pratiquement mission impossible. Nous nous retrouverons comme cette personne qui finit en prison à force d’essayer de sauver quelqu’un d’un bus invisible.

Qui Harold valorise-t-il dans ce cas? En qui a-t-il confiance? Ou plutôt, en qui n’a-t-il pas confiance?

Rajoutons donc quelques personnes pour que cette situation soit plus réaliste: des personnes qui valorisent notre avis et qui ont confiance en nous (nos amis), et d’autres qu’Harold valorise (ses amis). Harold n’aura pas confiance en nos amis, mais bien en les siens.

Nous aurons beau gueuler tous ensemble avec nos amis auprès d’Harold, il ne bougera pas car il n’en valorise aucun et ses croyances n’évolueront pas (biais de confirmation). Cela favorisera la réactance et l’opposition des groupes (la polarisation). A ce moment-là, uniquement les rapports de force seront efficaces (à éviter dans la mesure du possible – dépenses d’énergie et perte de temps).

Par contre, s’il s’agit des amis d’Harold qui lui disent que ce qu’il fait n’est pas bien, et qu’ils ne le font pas eux-mêmes, Harold ne le fera pas non plus: il valorisera leur avis et il éprouvera un cout réputationnel à agir de la sorte (nous adoptons de nouveaux comportements lorsqu’il y a des bénéfices réputationnels associés).

Mais malheureusement les amis d’Harold font encore comme lui – ils appuient sur tous les boutons qu’ils voient. Il s’agit là de conformisme social lié à un comportement, à une norme sociale. Cependant, dans cette configuration sociale, il se trouve que certains de vos amis sont amis avec les amis d’Harold, il s’agit du lien social entre les groupes (voyez ça comme un pont entre deux îles).

Il est donc possible et désirable de créer cette disponibilité ainsi que de promouvoir les comportements vertueux associés chez les amis d’Harold qui eux-mêmes la créeront au sein de leur groupe et ensuite chez Harold.

Quelles sont les conditions et les freins pour matérialiser cette émergence de croyances, de normes au sein de l’entièreté de la population afin d’atteindre les groupes pertinents? C’est le sujet de l’article suivant 🙂

Ceci s’applique en réalité à tous les niveaux de la société : que ça soit au niveau individuel (nos modes de vie comprenant avion, surconsommation,…), des entreprises (quels produits/services sont néfastes et/ou seront rendus obsolètes par les menaces) ou des gouvernements (que faut-il promouvoir ou non comme solutions étant donné la situation, comment le faire en connaissance des dynamiques sociales et des mécanismes cognitifs). En effet, nous appuyons tous un peu à notre échelle sur ces boutons lanceurs d’incendie sans en avoir réellement conscience. Il est donc utile de ne pas uniquement partager avec Harold, mais avec tout le monde, en commençant par les personnes qui nous valorisent, et en s’assurant que notre façon de partager le message ne remettra pas en question cette valorisation. 🙂

Mais rajoutons encore un petit problème pour rendre les choses plus réalistes:

il se trouve que ces fameux boutons sur lesquels Harold appuie sont en réalité vendus par des amis à lui, il s’agit de leur gagne-pain. Du à différents facteurs – manque de disponibilité, aversion à la perte, statut social, couts irrécupérables,… -, leur perception leur dictera qu’il faut faire taire ces lanceurs d’alerte et continuer à vendre les boutons, qui est leur garantie de succès dans le système actuel. Cette situation d’aversion à la perte (argent, statut,…) peut favoriser notamment le biais de confirmation quant aux croyances et à ce qui est nécessaire pour éteindre cet incendie.

Si nous avions été à leur place, nous aurions peut-être fait pareil bien que nous ne sachions pas exactement pourquoi (car nous ne sommes pas supérieurs aux autres bien qu’on puisse le penser et nous avons une capacité infinie à ignorer notre ignorance). Les situations (et normes) auxquelles nous sommes soumis et notre environnement dictent en grande partie nos croyances et nos actions.

Par exemple, il n’y a d’ailleurs probablement pas de différence cognitive majeure entre le DG de Bayer-Monsanto et moi ou vous (nous faisons partie de la même espèce et nous sommes régis par les mêmes mécanismes), ce qui change surtout c’est la situation: les normes auxquelles nous avons été exposés et les croyances qui en découlent (conformisme social), la perception de ce dont nous dépendons pour vivre (tant matériellement que socialement), nos moyens et nos situations (de pouvoir ou non) etc… Il est donc utile de comprendre les mécanismes qui nous auraient menés à prendre ces mêmes décisions et qui inhibent donc une action rationnelle vis-à-vis du vivant, pour ensuite générer des leviers.

Qui pour alerter Harold efficacement et le faire changer?

Créer une disponibilité qui se rapproche au mieux de la réalité est absolument nécessaire. Pour cela, tous ceux qui cherchent justement à alerter Harold et qui réussissent tant bien que mal à éviter qu’il n’appuie sur des boutons lanceurs d’incendies, sont entre autres les activistes. Cependant, là où les activistes arrivent à empêcher Harold d’appuyer sur le bouton, ce ne sont probablement pas eux qui le font changer d’avis sur le fait d’appuyer ou non dessus!

Il ne faut pas négliger la propagation des normes qui se fait justement de façon implicite par le reste de la population au travers des différentes bulles sociales et qui agissent comme des ponts entre ces bulles. Comme exprimé plus tôt, il peut y avoir 1 million de personnes associées aux Soulèvements de la Terre, Macron les mettra toujours « en prison » (comme cette personne avec le bus invisible), ou en tout cas ne les écoutera pas.

L’activisme fonctionne et est nécessaire, là où il permet d’alerter et de donner une disponibilité sur les actions néfastes (et parfois volontaires) de certaines personnes auprès du grand public (et ainsi créer des cascades de disponibilité) et arrive à fédérer autour d’enjeux cruciaux. Mais nous devons partir du principe qu’il y a un manque de disponibilité chez tout le monde, et que l’humain de base ne cherche pas à faire le mal, ce qui signifie qu’il y a d’autres mécanismes cognitifs qui inhibent les bonnes réactions. Mais toujours est-il que tant qu’Harold ne comprendra pas vraiment les conséquences liées au fait d’appuyer sur ce bouton, l’activisme ne fera que se battre contre des croyances avec des outils qui ne les font pas assez changer.

Il est donc utile de se focaliser sur les facteurs qui maximisent la propagation des normes, et donc des croyances par le reste de la population (grâce aux minorités conscientisées comprenant les activistes), pour transférer cette disponibilité entre des groupes qui ne se valorisent pas (comme avec les amis d’Harold). Dans la mesure du possible, il faut à tout prix éviter que les personnes que nous cherchons à convaincre en viennent à nous détester.

Les activistes du vivant (nous tous en réalité) ont donc plusieurs responsabilités clés: créer une disponibilité efficace dans la population (par rapport aux problèmes futurs et solutions utiles) pour qu’elle arrive ensuite chez Harold, en même temps essayer tant bien que mal d’empêcher Harold d’appuyer sur tous les boutons qu’il voit, et également rendre visibles les gens qui courent déjà vers la maison d’Harold et qui versent des verres d’eau tant bien que mal (verser un verre d’eau qu’Harold voit est aussi efficace que verser une citerne d’eau qu’Harold ne voit pas), en s’assurant qu’il y ait parmi ces gens qui agissent certains qu’Harold valorise – en tout cas une minorité croissante.

Quelle disponibilité supplémentaire est-il nécessaire d’avoir pour nous-même? Cela nous amène au point suivant, comprendre la place de l’humain sur cette planète, pour comprendre en quoi nous pouvons aider les pompiers dans la maison d’Harold!


Notre rapport au vivant


Le constat est qu’Harold n’est pas pompier, nous non plus, mais nous pouvons le (re)devenir! Heureusement, nous sommes sur une planète avec des organismes qui évoluent depuis des millions voire des centaines de millions d’années de façon optimale les uns avec les autres (nous y compris sauf depuis maintenant quelques temps).

Et s’il y a donc bien une manière d’agir de façon parfaite compte tenu de la situation actuelle et éviter les erreurs de construction, c’est d’accepter que nous n’y connaissons absolument rien et que nos politiques ainsi que nos actions ont toutes les chances de rater si nous ne nous appuyons pas sur la biodiversité – et la connaissance des scientifiques de celle-ci – à tous les niveaux: l’arrêt des pesticides, laisser la nature faire ce qu’elle fait si bien et que nous sous-estimons tant.

Nous faisons nous-mêmes partie de cette nature, nous y avons donc un rôle nécessaire à jouer en tant que maillon du vivant. Nous sommes sur cette planète depuis plus de 400 000 ans, et la dernière évolution de l’homme remontant à 30 000 ans est tout à fait capable d’interagir avec son environnement de façon utile et nécessaire.


Seulement, nous nous sommes progressivement détachés de cette nature ces derniers siècles (voire millénaires) pour la voir comme une ressource dont on peut profiter, pour se voir comme extérieur à elle et nous identifier en tant que propriétaire de cette dernière. Nous sommes rentrés dans l’anthropocène. Nous avons pris une tangente néfaste pour le vivant (et donc nous-même) là où d’autres futurs plus vertueux étaient tout à fait possibles et peut-être tout autant probables! Manque de chance?

Nous sommes actuellement dans la version la plus extrême de ce système ou nous ne remplissons même plus des tâches basiques qui nous incombent pour le bon équilibre du vivant (nous pissons dans de l’eau potable au lieu de fournir de l’azote utile à la végétation, c’est dire…). Pire, nous inhibons ses capacités (et les nôtres) de pompier intraitable, nous avons nous-même menotté ce pompier – qui a pourtant des centaines de millions d’années d’expérience -, et cerise sur le gâteau, nous l’empoisonnons quotidiennement.


Tous les jours le reste du vivant travaille et rend des services gratuits pour fournir de l’eau potable, de la nourriture, de l’oxygène,… alors que nous les regardons et profitons d’eux pour ne rien faire, enfermés dans des boites en béton sur nos écrans, soumis aux lois des algorithmes. Ils travaillent tous à préserver cette planète habitable, et nous ne les aidons plus.

Nous avons à l’inverse en tant qu’espèce essayé de prendre le contrôle de l’ensemble de la chaine du vivant, d’en devenir les patrons, en déterminant ce qui pouvait pousser, où et comment, en décidant par exemple quels insectes avaient le droit de vivre ou non, ne réalisant pas les services qu’ils rendaient à tous.


Nous avons pris possession d’un rôle qui ne nous revient pas et pour lequel nous n’avons pas les qualifications nécessaires – comme un enfant de 5 ans qui est persuadé qu’il est apte à être le « parent » de ses frères et soeurs, mais qui finit par leur cuisiner des soupes de produits toxiques (aka les pesticides et donc les PFAS qui sont présents massivement dans ces derniers) et à laisser la maison prendre feu en cuisinant (alias le changement climatique), tout en étant persuadé qu’il est en fait un super parent, car il n’a pas encore eu le temps de voir les conséquences de ses actions (disponibilité).

Etant présents dans les pesticides, les PFAS, ces polluants éternels, sont désormais partout, équivalents à la fumée meurtrière dans la maison d’Harold. Nous respirons, mangeons et buvons du poison tous les jours, sans nous en rendre compte. Lorsque nous aurons des problèmes pour traiter l’eau (ce qui arrivera probablement), nous serons ainsi condamnés à boire du poison.

Oui, nous devons interagir avec notre environnement pour contribuer à son bon équilibre – c’est notre responsabilité en tant qu’humains -, mais sans chercher à le contrôler de façon aussi extrême, car nous ne comprenons pas ce que nous faisons. Une partie de la soupe est déjà dans l’estomac, et il est trop tard pour la faire ressortir, mais nous pouvons éviter d’en ingurgiter plus, et essayer de réfléchir à comment sauver un maximum de nos frères et soeurs ainsi que de la maison.


Heureusement, nous pouvons également sans trop d’efforts arrêter le massacre et retrouver la place qui nous est due sur cette planète, mais avec combien de frères et soeurs en moi? Et comment?


Quelle stratégie adopter pour soi-même et les autres?


Car maintenant que nous avons conscience de ces mécanismes, il s’agit d’être extrêmement efficace et donc de commencer par réfléchir à ce qui fonctionne d’un point de vue cognitif (ce qui est l’objectif de ce site) pour établir une stratégie qui nous permettra d’appuyer correctement sur ce frein bien que nous ne l’ayons jamais fait. Il ne faut pas en même temps courir dans la rue, crier, hurler, et lâcher son job en un quart de seconde.

Il faut réfléchir de façon concrète et méthodique aux étapes à adopter, aux conditions nécessaires pour l’adoption de nouveaux comportements et agir progressivement du plus facile et efficace au plus complexe sur une échelle de temps très limitée, en tenant compte que nous sommes dans une situation où l’intuition peut nous jouer de très mauvais tours.

Je vous invite donc très concrètement à nourrir la réflexion et à vous demander dans un premier temps à quoi correspondrait votre métier d’aujourd’hui si vous étiez dans la maison d’Harold? Quel effet a-t-il sur ce feu? Si le feu prend trop fort et trop vite, à quels risques vous exposez-vous personnellement au vu de votre situation? Qu’en est-il de vos proches? A quels risques sont-ils soumis?

Avez-vous la possibilité d’agir, de vous préparer/vous adapter, d’aider les autres victimes du système selon vos moyens à moindre effort (de nombreuses personnes ne le peuvent pas, par précarité ou autres raisons – sociales/normatives, équité notamment -, et ces dernières comptent sur nous, car elles sont probablement à l’étage, sans possibilité d’agir)?

Comme je l’ai déjà dit, le but n’est pas de forcer ou imposer: vous êtes le mieux placé pour prendre vos décisions et personne n’a le droit de vous en vouloir pour ce que vous choisissez. Nous sommes une espèce sociale, sacrifier son statut en engueulant les autres pour ensuite changer tout seul n’est pas une bonne pratique. L’objectif est d’aider à comprendre la situation, ce dont nous dépendons et ce que nous pouvons faire tant pour atténuer que s’adapter collectivement, et comment au mieux inciter les autres par nos actions.

Les articles sur ce site sont une tentative de réponse quant aux conditions nécessaires pour agir le plus efficacement possible, il s’agit de ce « mode d’emploi » pour que chacun de nous puisse convaincre Harold de bouger. Cela comprend entre autres les actions simples quotidiennes d’un point de vue cognitif pour faire évoluer les mentalités, mais aussi les moyens pour communiquer efficacement, influencer l’opinion publique et créer des cascades de disponibilités sur ce sujet capital.

Une fois une cascade de disponibilité créée, tant les citoyens que le politique n’auront d’autre choix que de s’emparer du sujet, ce qui mènera naturellement à l’adoption de comportements vertueux.


Concrètement la biodiversité (et le climat) on la (les) sauve comment en attendant?


De façon très concrète par rapport à la biodiversité, nos comportements peuvent inclure sans trop de difficulté: consommer sans pesticide, végétal (ce qui évitera pas mal de déforestation), local et de saison, aider et soutenir les agriculteurs locaux qui sont déjà nombreux à désirer se convertir (que ça soit en communiquant avec eux, avec nos petites mains dans les champs pour remplacer les pesticides, ou avec notre argent – qui sinon ne vaudra bientôt plus rien) et soutenir le développement de commerce circuit court et local pour directement rémunérer correctement les agriculteurs et non les chaines intermédiaires (ce qui favorise la transition vers l’agroécologie grâce à une meilleure rémunération).

Par rapport au climat, calculer son empreinte carbone est très pratique parce qu’on peut y voir comment économiser beaucoup en fournissant très peu d’efforts! (pour moi c’était majoritairement l’avion et la viande, j’ai donc arrêté les deux !)

En parallèle pour la biodiversité on peut laisser son jardin (si on en a un), son village, sa ville, se transformer en « réserve naturelle »: ne pas tondre ou tonte différenciée/hybride, ne pas (trop) couper les arbres morts – nécessaires pour de nombreux insectes et espèces d’oiseaux entre autres -, laisser l’environnement se réensauvager. Nous devons laisser la nature faire ce qu’elle fait de façon optimale depuis des millions d’années, avec nous compris dedans pour l’assister.

Nous devons revoir notre prisme du vivant, comprendre que par exemple des « mauvaises herbes » sont tout sauf le nom qu’on leur donne. Nous devrions être en train de prier pour qu’elles poussent partout, car elles permettent au reste de la végétation de se développer par la suite.

A titre indicatif, 66% des précipitations continentales viennent de la végétation environnante, pour seulement 34% provenant des océans. Il y a donc un intérêt réel à laisser la végétation stocker l’eau si l’on veut qu’il pleuve (et non avec des méga-bassines – ce qui montre qu’on a à nouveau essayé de réinventer la roue en ignorant notre ignorance et donc en ignorant les mécanismes optimaux développés sur des millions d’années par la végétation). Si votre région se végétalise à tous les niveaux, vous maximisez les chances qu’il y pleuve.

Par contre, mettre des pesticides (surtout), cultiver en monocultures, labourer les sols, couper les haies et les arbres, installer des mégabassines, tout cela contribue à l’effet inverse. Il faut donc commencer par enlever les freins et les barrières (les menottes) que nous avons nous-mêmes mis au reste du vivant, en parler dans sa communauté et sa localité, ouvrir le débat, s’ouvrir aux autres (tant les humains que le reste du vivant), partager, sans culpabiliser.

Ensuite, on peut tout à fait envisager de se former à l’agroécologie et d’autres métiers nécessaires pour garantir une sécurité alimentaire pour tous et en même temps restaurer le vivant. Et devinez quoi, la viande issue de l’agroécologie n’est pas néfaste pour le climat (consommée de façon tout de même beaucoup plus raisonnée qu’aujourd’hui – voyez ça comme un mets de luxe), donc si vous ne pouvez pas vous en passer, je vous invite à vous y mettre ou en tout cas à soutenir les personnes qui s’y mettent (ou désirent s’y mettre).

Mais surtout, pour entrainer un maximum de gens avec vous, il faut changer de façon visible, mais sans pour autant imposer, ni culpabiliser (voir « Conscientisation écologique: pas nécessaire?») : simplement en parler autour de vous si l’occasion se présente est donc déjà un pas dans la bonne direction. L’objectif dans la transition par les individus est en réalité de véritablement d’optimiser les bienfaits et la vitesse d’adoption (les points de bascule sociaux) pour le minimum d’effort.

Par conséquent, fournir les 20% d’efforts selon votre perception, qui permettront les 80% de résultats nécessaires à enclencher des dynamiques positives. Ces efforts seront souvent différents pour chacun, d’où l’intérêt de laisser les personnes prendre leurs propres décisions. Par exemple, là où il a été extrêmement facile pour moi de végétaliser mon alimentation et de ne plus prendre l’avion ou la voiture (ce sont deux choses extrêmement efficaces) ainsi que d’acheter un maximum bio, local et de saison, ça l’est peut-être beaucoup moins pour quelqu’un d’autre. Chacun doit établir ses priorités, sa stratégie, en fonction de ses moyens, et demander/proposer de l’aide là où c’est possible/nécessaire.

Nous sommes en train de perdre le toit et le premier étage, mais à la différence d’Harold nous sommes dans la maison et nous ne pouvons pas en sortir. Nous avons désormais le choix entre pas de maison du tout et le rez-de-chaussée. En termes d’efforts à fournir pour arrêter ce feu, nous oscillons peut-être encore entre « le seau d’eau et la citerne ». Et si vous me demandez ce que je préfère, je vous répondrai que « la question elle est vite répondue« . 😁

Nous avons la possibilité d’agir, des petites actions peuvent être suffisantes pour contribuer à une cascade de disponibilité et donc à une action coordonnée et des prises de décisions efficaces. L’évolution exponentielle peut elle aussi aller dans le bon sens et intégrer tant les citoyens que ceux qui aujourd’hui contribuent à ce modèle néfaste et qui demain peuvent être d’une grande aide – tant en arrêtant de vendre des produits destructeurs, qu’en soutenant justement ceux qui dépendent d’eux et de ce sytème malade.


La suite : Comment faire changer Macron depuis chez soi? Ou comment les normes émergent-elles et quelles conditions doit-on respecter dans un contexte écologique?


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