Apres 30 ans d’utilisation des sciences comportementales, ou en sommes-nous ?

Qu’est-ce qu’une intervention comportementale (ou « nudge ») ?

Une intervention comportementale modifie l’« architecture du choix » pour faciliter une décision sans restreindre les options (ex. simplifier un formulaire, rendre une option par défaut, rendre visibles les comportements des autres). Les familles classiques incluent :

  • Structure du choix (ex. par défaut, réordonnancement, simplification).
  • Information (ex. rappels, cadrages, retours comparatifs).
  • Assistance à la décision (ex. intentions d’implémentation, engagements).
    Une illustration célèbre est le retour comparatif d’énergie (montrer à un foyer sa conso vs celle du voisinage), qui s’appuie sur l’influence des normes sociales. PubMed

Exemples rapides :

  • Par défaut (opt-out) pour l’épargne ou le don d’organes : effet moyen robuste à l’échelle des études. Cambridge University Press & Assessment
  • Normes sociales : « les autres font X » (descriptive) / « on attend de vous Y » (injunctive) / normes dynamiques(« de plus en plus de gens font X »). 

Pourquoi recourir à ces interventions ?

Trois raisons principales :

  1. Coût/rapidité : elles sont peu coûteuses et rapides à déployer (ex. emails/lettres), ce qui en fait de bons compléments aux politiques structurelles. eml.berkeley.edu
  2. Compatibles avec la liberté de choix, donc acceptables et souvent scale-ables. PubMed
  3. À utiliser… mais au bon niveau : attention à ne pas tout miser sur l’« i-frame » (changer les individus) au détriment de l’« s-frame » (changer les systèmes). L’argument récent est de mobiliser les sciences comportementales au service de politiques structurelles (prix, disponibilité, infrastructures) plutôt qu’en substitut. Cambridge University Press & Assessment
    Dans la même veine, une revue 2024 propose d’aligner l’outil sur le bon déterminant du comportement (accès/ressources, normes, capacités, motivation), et souligne que changer l’accessibilité et le contexte produit souvent plus d’effet que des messages sur les normes seules. 

Sont-elles si efficaces que ça ? Ce que dit la science

1) Vue d’ensemble (métas et grandes synthèses)

  • Meta-analyse PNAS 2022 (Mertens et al.) : sur > 200 études (n ≈ 2,15 M), taille d’effet globale petite à moyenne(Cohen’s d = 0,45). Les interventions de structure du choix surpassent l’information ou l’assistance ; effets plus élevés sur l’alimentation. Publication bias modéré détecté. PubMed
  • À grande échelle dans l’action publique (DellaVigna & Linos) : 126 RCTs de deux « nudge units » US (23 M de personnes). Effet moyen ~ +1,4 point (vs ~ +8,7 points dans les études publiées) ; l’écart s’explique en grande partie par le biais de publication et la puissance statistique des essais académiques. Conclusion : petits effets, mais souvent très bon retour coût/impacteml.berkeley.edu

2) Climat : des résultats plutôt modestes et hétérogènes

  • Tournoi mondial (Science Advances, 2024) : 59 440 participants, 63 pays. Effets faibles en moyenne, surtout chez les non-climatosceptiques ; certains leviers ciblés marchent un peu selon l’issue (ex. soutien politique ≈ +2,6 % après une lettre au futur, partage d’info ≈ +12 % via émotions négatives), et aucune intervention n’a augmenté le comportement le plus coûteux en effort (planter un arbre) — plusieurs l’ont réduitPMC
  • Normes sociales en environnement : les méta-revues récentes suggèrent des effets faibles à négligeables (surtout pour les normes injonctives) comparés à des changements d’accessibilité (prix, disponibilité, frictions). 

3) Qu’est-ce qui marche le plus souvent ?

  • Rendre le bon choix saillant et facile : par défauts, simplification, réduction de frictions. PubMed
  • Rendre visibles des normes crédibles (dynamiques, locales, pertinentes), en évitant les messages qui soulignent l’ampleur des comportements indésirables. 
  • Agir sur les déterminants « structurels » (accès/ressources) quand l’effort requis est élevé ; partir de l’hypothèse que « les gens sont raisonnables » si on leur en donne les moyens. 

4) Points de vigilance

  • Hétérogénéité forte et contexte-dépendance : ce qui marche dans un domaine/une population peut être neutre ailleurs ; tester localement est clé. PubMed
  • Backfire possible quand le comportement est coûteux (ex. tournoi mondial climat). PMC
  • Biais de publication : ne pas extrapoler à partir des seules études « positives ». PubMedeml.berkeley.edu

En bref

  • Les nudges produisent des effets petits à moyens en général, petits à grande échelle, mais coût-efficaces ; ils complètent (ne remplacent pas) les politiques structurelles. PubMedeml.berkeley.edu
  • Miser d’abord sur la structure du choix (par défauts, simplification) et sur l’accessibilité ; utiliser les normesavec discernement (dynamiques, crédibles, locales). PubMed
  • Concevoir par déterminants (de quoi les gens ont-ils besoin pour agir ?) et laisser les nudges accélérer l’adoption d’un système mieux conçu.  Cambridge University Press & Assessment

Références clés citées

  • Mertens, S. et al. (2022). PNAS — méta-analyse « choice architecture ». PubMed
  • DellaVigna, S. & Linos, E. (2022). Econometrica — 126 RCTs « nudge units », effet ~ +1,4 pp. onlinelibrary.wiley.com
  • Vlasceanu, M. et al. (2024). Science Advances — tournoi mondial climat, effets faibles et backfire sur comportements coûteux. PMC
  • Albarracín, D. et al. (2024). Nature Reviews Psychology — quels déterminants viser ? (accès/ressources > normes seules, selon les cas). 
  • Schultz, P. W. et al. (2007). Psychological Science — puissance (constructive/destructive) des normes. 
  • Jachimowicz, J. et al. (2019). Behavioural Public Policy — méta des effets « par défaut ». Cambridge University Press & Assessment
  • Chater, N. & Loewenstein, G. (2023). Behavioral and Brain Sciences — i-frame vs s-frame. Cambridge University Press & Assessment

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